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Ascension

(Actes des Apôtres 1, v. 4 à 12)

Le ciel, la terre et les enfers

Pour nous, occidentaux de ce début du vingt et unième siècle, le récit de l'Ascension a quelque chose d'étrange et de bizarre. À la suite des textes bibliques, les symboles et crédos de l'Église ancienne mentionnent tous la descente de Jésus aux enfers et sa montée au Ciel. Nous avons aujourd'hui beaucoup de peine à nous figurer et à comprendre ces déplacements verticaux, vers le bas ou vers le haut. Ils évoquent peut-être les mouvements d’un ascenseur ou les essais d’un Airbus, mais nous ne voyons pas ce qu'ils peuvent apporter à notre foi. Ils paraissent incongrus, gênants ; ils nous embarrassent plus qu'ils ne nous éclairent et ne nous aident.

Réaction de modernes devant des textes anciens, appartenant à une autre culture. Au début de notre ère, à l'époque où le Nouveau Testament a été écrit, ils ne posaient pas de problèmes ni ne soulevaient de difficultés. En effet, les sémites aussi bien que les gréco-latins se représentaient l'univers sous la forme d'une maison à trois niveaux. En bas, une sorte de cave sinistre, effrayante, les enfers, un endroit obscur dominé par des puissances inquiétantes, hostiles, que l'on redoutait. En haut, un grenier ou un solarium lumineux, attirant, radieux où régnaient des divinités et des anges d'une grande bienveillance, que l'on servait et vénérait. Au milieu, dans une sorte de rez-de-chaussée ou d'entre deux, la terre, demeure des humains durant leur existence, mélange de ténèbres et de clartés, de malheur et de bonheur, où l'infernal et le céleste, l'horrible et le merveilleux se rencontrent, se côtoient et s'affrontent.

Quand on se représente ainsi l'univers, la descente aux enfers, le séjour sur terre et la montée au ciel du Christ ont du sens. Ils ne racontent pas des événements fantastiques. Ils affirment que Dieu ne délaisse rien, que le Christ agit dans toutes les régions de l'Univers, le bas, le haut, le milieu, et que le croyant peut toujours compter sur lui, avoir confiance en lui en quelque lieu qu'il se trouve. Nous transposerons ce message dans nos catégories en disant qu'il proclame que Dieu est proche de nous, nous aide et nous soutient dans nos instants d'exaltation comme de dépression, dans les heures lumineuses comme dans les sombres et aussi dans les temps ordinaires ni particulièrement malheureux, ni spécialement heureux. Il n'est absent d'aucun moment ni d'aucune zone de notre existence.

Ce message, le Nouveau Testament l'a formulé avec les mots et en se servant des idées de son temps. Il nous appartient de le recevoir et de le traduire dans le langage et en tenant compte des conceptions de notre époque. Le contenu de l'évangile vient de Dieu et de sa révélation. La manière de le présenter, de le prêcher, de le formuler dépend des temps et des lieux. Le même évangile, le même message s'exprime autrement selon le contexte culturel.

Le Christ s’en va

Le récit de l'ascension raconte le départ du Christ. Il quitte la terre pour aller au Ciel, où « il siège à la droite de Dieu », selon l'expression utilisée par les anciens symboles. Il ne se trouve donc plus sur terre matériellement, physiquement et corporellement, comme il l'était avant sa mort et sa résurrection. Désormais, il est présent d'une autre manière : par son esprit et par sa parole.

On l’a beaucoup souligné au temps de la Réforme dans les débats sur les sacrements. Le fondateur des Églises Réformées, le zurichois Zwingli traite toujours des sacrements à propos et à la lumière de l'Ascension. Les catholiques soutiennent la doctrine de la transsubstantiation, les luthériens celle de la consubstantiation. Ces deux doctrines, l'une et l'autre subtiles et compliquées, présentent des différences, mais elles ont en commun d'affirmer que le pain et le vin de l'eucharistie ou de la Cène se transforment matériellement, substantiellement, en corps et sang du Christ. À la suite de Zwingli, les réformés protestent énergiquement. Vous oubliez, disent-il aux uns et aux autres, l'Ascension. Si le Christ est monté au ciel, il s'ensuit qu'il n'est plus présent physiquement sur terre, que son corps n'est pas accessible, disponible dans le sacrement, que l'Église n'a pas le pouvoir de le faire venir ou revenir dans le pain et le vin consacrés.

Les catholiques et les luthériens ont rétorqué : mais alors vous faites du Christ un absent, quelqu'un qui n'est plus avec nous ni parmi nous. Pas du tout, répondent les réformés, nous croyons fermement qu'il est présent, mais il ne faut pas se tromper sur la nature ou le mode de cette présence. Pour l'expliquer, Farel, Calvin et Bullinger se servent de la même image. Le soleil, disent-ils, est physiquement, spatialement, très loin de nous. Il se situe au Ciel à une distance pour nous infranchissable. Pourtant, malgré son éloignement, il nous touche, nous atteint, nous éclaire, nous réchauffe, il rend notre vie possible. Il en va de même du Christ. Il est au ciel, et non sur terre. Néanmoins sa parole et son esprit, comme les rayons du soleil, nous illuminent, nous animent et nous transforment. Il agit en nous, parmi nous, tout en se trouvant à distance, comme le soleil.

Aussi les réformés soulignent-ils fortement qu'on ne doit pas sacraliser et encore moins diviniser le pain et le vin de la Cène, ni aucune cérémonie ou institution religieuses, qu'il s'agisse de temples, de lieux de pèlerinage, de rites ou de doctrines, de dirigeants d'Églises ou de chrétiens éminents. Pas de terre sainte, pas de saint Père, pas de saint siège, pas de sacré collège, car Dieu seul est saint ou sacré et rien de ce qui est sur terre ne l’est. L'Église témoigne de Dieu par sa prédication, ses enseignements, ses cérémonies. Elle n'est, cependant, pas divine. Les croyants par leurs paroles et leurs actions servent l'évangile ; certains le font mieux que d’autres, on ne doit néanmoins pas les canoniser, ni leur rendre un culte. Il ne faut pas confondre les témoins et les témoignages avec celui dont ils témoignent, sinon on en fait des idoles qui remplacent Dieu, qui se substituent à lui, et non des signes de son action et de ses bienfaits. L'évangile s'annonce toujours dans le cadre et avec les moyens d'une culture, qui lui fournit des symboles, par exemple le pain et le vin, pour y sensibiliser, qui offre un langage pour le formuler ; mais jamais l'évangile ne se confond avec une culture, ni ne s'identifie avec l'une de ses expressions. C'est d'ailleurs pourquoi il existe des christianismes africains, asiatiques, américains, orientaux, et occidentaux, qui diffèrent entre eux non pas par leur contenu, mais par leur forme. C'est pourquoi aussi il existe plusieurs Églises, plusieurs courants théologiques et spirituels, plusieurs manières de comprendre, d'exprimer, de vivre le même évangile. Il nous faut nous réjouir de cette diversité ; elle ne constitue pas un défaut, mais tient à la nature de l'évangile qui ne se confond avec aucune des expressions ou traductions culturelles que l'on en donne, avec aucun système théologique, spirituel ou ecclésiastique.

Retour à la ville

Luc (auteur des Actes) raconte que Jésus est élevé vers le Ciel et qu'on ne peut plus le voir. Aussitôt après sa disparition, arrivent deux hommes vêtus de blanc (ils évoquent donc des anges, sans toutefois qu'on nous dise expressément qu'ils le sont). À ceux qui entouraient Jésus et ont assisté à son départ, ils demandent : « pourquoi restez-vous à regarder au Ciel? ». Les disciples s'en retournent alors vers Jérusalem, entrent dans la ville. Ils ne s'installent pas en dehors de la cité, loin d'elle, ils vont y demeurer, en parcourir les rues, loger dans ses maisons et vivre au milieu de ses habitants,

Pourquoi prêter une attention particulière à ce dénouement qui peut paraître à première vue assez terne ? Ne nous fait-il pas sortir de l'extraordinaire, du sublime pour en revenir au quotidien, au banal, à l'insignifiant ? Après un moment intense, celui de l'ascension, les disciples auraient vécu un temps un peu vide de transition, en attendant qu'arrive un autre moment fort, celui de la Pentecôte. En fait, les versets qui terminent le récit de l'ascension me semblent avoir beaucoup d'importance et d'intérêt parce qu'ils détournent les disciples d'une attitude ou d'un comportement qui aurait bien pu les séduire.

En effet, les religieux, les spirituels ont toujours envie de rompre avec le monde, de s'en isoler le plus possible, de se tenir à l'écart, pour que rien ne vienne les déranger dans leurs exercices pieux, ni troubler leurs moments de contemplation et de méditation. Ils désirent oublier la terre dure et pénible et souhaitent ne s'occuper que du Ciel autrement exaltant. Ils veulent se détourner du matériel et du temporel pour s'adonner entièrement au spirituel et à l'éternel. L'Église tend à oublier qu'elle est « missionnaire » (qu'elle a une mission pour le monde) et à se replier sur elle même, en privilégiant le communautaire, le liturgique et la piété intime.

Les disciples de Jésus auraient pu, comme les gens de Qumran, s'installer dans une région désertique, loin des villes et de leur agitation. Ils auraient alors commencé et amorcé ce que l'on a souvent fait dans les époques suivantes, à savoir fonder des couvents fermés sur l'extérieur, construire des monastères entourés de murs qui les protègent. Les disciples auraient pu également se retirer dans des demeures discrètes, vivre entre eux, prier ensemble, et cultiver, comme un jardin secret, le souvenir de Jésus ; c'est peut-être, d'ailleurs, ce qu'a essayé de faire la première église de Jérusalem. S'ils avaient agi ainsi, ils seraient restés à regarder vers le Ciel, et se seraient désintéressés de la ville, de la cité, du monde.

Les hommes vêtus de blanc les orientent vers une autre voie : non pas demeurer à l'écart, sur quelque montagne sacrée pour regarder le ciel, mais descendre en ville, y parler, y agir, y témoigner. Les disciples sont devenus citoyens de Jérusalem, puis d'Antioche, d'Athènes et de Rome. Ils ont tenu des commerces, exercé l'artisanat, cultivé la terre, pratiqué l'art et la philosophie, sont entrés dans les affaires ou l'administration. On n'a d'abord pas voulu d'eux, et on les a pourchassés, persécutés, puis ils ont été admis et sont même devenus dominants. Ces diverses activités leur ont fait courir des dangers physiques et spirituels ; on risque parfois d'y perdre son âme. Mais c'est ainsi, et non en se mettant à l'abri qu'on rend témoignage au Dieu qui aime tous les êtres humains, toutes les créatures, et qui veut les sauver. L'évangile ne méprise pas le monde ; il va vers lui. Il n'ignore pas ni ne dédaigne sa culture, il y participe.

Un triple message

Voilà les trois messages que je discerne dans le récit de l'ascension. D'abord, il nous faut tenter d'exprimer l'évangile dans le langage de la culture d'aujourd'hui, comme le Nouveau Testament l'a fait dans celle de son temps. Ensuite nous devons nous garder de diviniser ou d'idolâtrer les expressions culturelles de la foi ; il y a toujours une distance et une différence entre Dieu et ce qui l'exprime, le manifeste. Enfin, nous sommes citoyens du Royaume de Dieu et aussi citoyens de notre monde et de notre époque, nous n'avons pas à nous en évader, mais à y participer, à y vivre en chrétien et à y témoigner de l'évangile.

André Gounelle

 

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André Gounelle

Professeur émérite de la faculté de théologie protestante de Montpellier

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