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Jésus est-il Dieu ?

À cette question, pour ma part, je réponds : « non ». Je crois que Dieu se rend présent et agit en Jésus de Nazareth, qu’il me rencontre et me parle à travers lui, mais pas que Jésus soit Dieu. Si, pour moi, il y a du divin en Jésus, il n’est pas lui-même divin ; il est uniquement (mais exemplairement) humain. Beaucoup estiment que cette conviction va contre l’enseignement évangélique et contre la doctrine généralement admise par les chrétiens. Cette objection ne me paraît pas fondée ; à mon sens, aussi bien le Nouveau Testament que les grands Conciles sont beaucoup plus complexes, nuancés et indécis sur ce point qu’on ne le pense souvent.

L’autre et l’intime

On trouve dans le Nouveau Testament deux séries d’affirmations. La première suppose une étroite proximité et une union entre Dieu et Jésus, la seconde une distance et une différence. D’un côté, Jésus dit : « Moi et le Père, nous sommes un » (Jn 10, 30), « qui m’a vu a vu le Père » (Jn 14, 9), « le Père est en moi » (Jn 10, 38). De l’autre, il déclare : « celui qui croit en moi croit non pas en moi, mais en celui qui m’a envoyé » (Jn 12, 44), « le Père est plus grand que moi » (Jn 14, 28), « Pourquoi m’appelles-tu bon ? Personne n’est bon, si ce n’est Dieu seul » (Mc 10, 18). Jésus parle de Dieu comme d’un être distinct, qui se situe au dessus de lui, qui l’a envoyé, lui a donné une mission, auquel il obéit (« que ta volonté soit faite, non la mienne », Lc 22, 44) et qu’il prie. Il met ainsi l’accent sur l’altérité et la supériorité de Dieu. Mais Thomas, en présence du Ressuscité, lui dit « mon seigneur et mon Dieu » (Jn 20, 28). On pourrait sans peine multiplier les citations et il faudrait longuement discuter de la portée de chacune d’elles. Prises en leur ensemble, elles suggèrent une relation entre Dieu et Jésus qui conjoint une profonde intimité avec une altérité irréductible.

En 451, le Concile de Chalcédoine déclare que le Christ est « vraiment Dieu et vraiment homme », qu’il unit en une seule personne la nature divine et la nature humaine « sans confusion … ni séparation ». La formule complète, hautement complexe, aux termes soigneusement pesés, très balancée (en la lisant, on se demande sans cesse si chaque phrase ne nie pas celle qui la précède) a été mise au point à la suite de conflits violents et de débats obscurs. Elle demanderait de longues explications sur le contexte historique et de minutieuses analyses des notions utilisées. Elle n’est probablement pas aussi absurde qu’elle ne le paraît à première (et souvent à deuxième) lecture. En tout cas, elle me semble voir juste en interdisant à la fois d’identifier et de séparer Jésus et Dieu. Elle répète, dans un style qui manque à nos yeux de simplicité et de limpidité, l’idée néotestamentaire d’un lien étroit qui ne supprime pas la différence.

Du Fils de Dieu à Dieu le Fils

Dans le monde antique on connaissait des « demi-dieux » (nés de l’union d’un dieu et d’une femme ou d’un homme et d’une déesse, et donc sexuellement « fils de Dieu »), des dieux déguisés (tel Jupiter prenant provisoirement une forme humaine, en général pour séduire une mortelle). On voit parfois affleurer dans le christianisme l’idée de « Dieu transformé », Dieu renonçant à sa divinité pour devenir humain, ce qui en ferait, en quelque sorte, un « ex Dieu » ou un Dieu démissionnaire.

Ces considérations sont étrangères au Nouveau Testament. Quand il nomme Jésus « fils de Dieu », cette expression n’a pas grand chose de commun avec ce que je viens d’évoquer et ne comporte pas d’allusion directe à une naissance miraculeuse que l’évangile de Luc présente comme un acte créateur semblable à celui de la Genèse, et non comme une insémination divine. Tous les humains et toutes les créatures sont des enfants de Dieu et les croyants le sont plus particulièrement : « ceux qui sont conduits par l’Esprit de Dieu sont fils de Dieu » (Rm 8, 14) ; nous sommes tous « fils de Dieu par la foi » (Ga 3, 26). Il ne s’agit nullement d’un statut exceptionnel qui ferait sortir de l’humanité ou qui ajouterait quelque chose à l’humanité. Pour Jésus, on précise qu’il est « fils unique », ce qui indique une proximité très forte sans autoriser une quelconque assimilation avec le Père.

Au fil des siècles, l’art, la piété populaire, parfois l’enseignement doctrinal ont eu tendance à faire de Jésus « un dieu marchant sur terre », en oubliant son humanité ou en la réduisant à une apparence illusoire. On est passé du « Fils de Dieu » à « Dieu le Fils », ce qui n’est pas du tout la même chose. Proclamer, sans plus, que Jésus est Dieu ne me paraît pas conforme au Nouveau Testament ; de plus, cette déclaration pourrait bien trahir l’intuition et l’intention du Concile de Chalcédoine

Café au lait et TGV

Ce que je crois, je l’ai dit au début de cet article : en Jésus Dieu est présent et nous rencontre. Cette conviction, conforme au témoignage du Nouveau Testament, l’immense majorité des chrétiens la partage. Une question les différencie, les oppose et les divise : comment s’articulent dans la personne de Jésus le divin et l’humain, comment s’opère la jonction ? Deux thèses s’affrontent.

Selon la première, se produit un compénétration. Osons une comparaison un peu triviale avec le café au lait. Au départ, café et lait se trouvent dans deux pots différents, à côté l’un de l’autre. Quand on les verse dans le même bol, on obtient du café au lait ; ensuite, on ne peut plus revenir en arrière, les disjoindre, isoler le café du lait. De manière analogue, divinité et humanité, séparées et distinctes au départ, se mélangent en Jésus le Christ, deviennent indémêlables, n’existent plus l’une sans l’autre. Quand vous avez Dieu, vous avez aussi Jésus et quand vous avez Jésus, vous avez aussi Dieu. Dans cette perspective, on dira que Marie est « mère de Dieu ». À strictement parler, elle est mère de Jésus, mais, puisque Dieu est là où est Jésus, on peut bien l’appeler « mère de Dieu ». Des cantiques de Noël parlent du berceau de Dieu, des langes de Dieu (ils ne vont pas jusqu’aux couches divines à changer, ce qui perturberait leur élan poétique). On déclare que Dieu est crucifié et meurt à Golgotha. On adresse prières et adoration à Jésus. Il est Dieu incarné en un homme (de même que le café s’incarne dans le lait).

Pour la seconde thèse, divinité et humanité ne s’amalgament pas, mais s’attachent l’une à l’autre, comme deux voitures d’une rame de TGV. À la différence des trains classiques avec des wagons qu’on peut décrocher les uns des autres, elles sont indissociables ; les découpler est impossible, elles vont toujours ensemble. Elles restent cependant différentes ; vous êtes dans la voiture 5 ou la voiture 6, pas dans les deux à la fois ; si vous voulez aller au bar, vous devez nécessairement traverser d’autres voitures, mais ces autres voitures ne sont pas le bar. De même en Jésus Christ, l’humanité et la divinité sont reliées l’une à l’autre, la première conduit à la seconde, mais sans aucun mélange ; il y a des choses qui appartiennent à Dieu et non à Jésus (ainsi la connaissance du jour où aura lieu la fin, Mt 24, 36) ; d’autres appartiennent à Jésus et non à Dieu (c’est Jésus et pas Dieu qui est tenté). Ici, on considère que Marie est mère de l’homme Jésus, pas de Dieu ; que berceau et langes sont ceux du bébé Jésus, pas de Dieu ; et qu’à Golgotha, c’est Jésus qui meurt, pas Dieu. On ne prie pas Jésus (ce serait de la « jésulâtrie », idolâtrie de l’homme Jésus), on prie Dieu au nom de Jésus. Jésus n’est pas Dieu, mais l’homme en qui Dieu se révèle.

Devant de telles spéculations théologiques, on a envie de demander à ceux qui en débattent savamment ce qu’ils en savent. Un scepticisme de bon aloi pousserait à renvoyer les deux thèses dos à dos faute de preuves. Je ne le ferai cependant pas. Je me sens proche de la deuxième qui me semble mieux rendre compte que la première de cette relation faite de proximité et de distance, d’intimité et d’altérité que je crois discerner dans le Nouveau Testament.

publié dans Évangile et Liberté, septembre 2013

 

André Gounelle

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André Gounelle

Professeur émérite de la faculté de théologie protestante de Montpellier

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