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Musique et foi
La valeur religieuse de la musique

La musique (instrumentale ou chantée) tient une grande place dans la plupart des religions. La Bible et la tradition judéo-chrétienne qui s’en inspire lui accordent une valeur qui mérite d’être soulignée.

Dans l’Antiquité, les grecs et les latins appréciaient énormément la musique, il suffit de lire Platon pour s’en rendre compte. Pourtant, parmi nos cinq sens, ils inclinaient à mettre au premier rang la vue et à donner la priorité au regard. Ils assimilent souvent la science et l'intelligence à la vision. En grec, le même verbe signifie voir et connaître ; connaître équivaut à voir avec les yeux de l'esprit ; on est un sage quand on sait observer, distinguer, et montrer les choses. Il en résulte que les gréco-latins ont beaucoup cultivé, travaillé et développé architecture, peinture et sculpture, et plus précisément la statuaire. On sait qu'ils ont réalisé dans ce domaine des œuvres superbes.

Les juifs de l’Antiquité ne méprisaient pas la vue, loin de là. Ils admiraient la nature, le ciel avec ses étoiles, les animaux, les fleurs et aussi, comme les Grecs, le corps humain. Sur l'arche de l'alliance et dans le temple de Jérusalem à la splendide architecture, il y avait des statues de chérubins ou de séraphins. Pourtant, la religion d'Israël privilégie plutôt l'ouïe. Selon la Bible, Dieu ne se donne pas à voir mais à entendre. Il échappe au regard qui ne peut pas le saisir ni se le figurer. Il demeure invisible ; par contre, il parle, il est audible. Pour connaître et comprendre l’existence, il faut se mettre à l'écoute de sa parole ; la véritable sagesse consiste à la recevoir dans ses oreilles et en son cœur. La foi, comme l’écrit l'apôtre Paul, vient de ce qu'on entend (pas de ce qu’on voit). Si le sage ou le savant grec est le plus souvent un visionnaire, pour qui le divin se contemple, le croyant biblique est plutôt un auditeur pour qui Dieu s’écoute. Ce privilège de l'ouïe explique l’importance accordée à la musique, que pratique le plus grand des rois d'Israël, David.

Pourquoi cette préférence pour la musique? Deux raisons me semblent l'expliquer.

D'abord, peinture et sculpture, et en disant cela je n'entends nullement en diminuer la valeur, fabriquent des objets statiques, inertes ; même quand ils évoquent et suggèrent le mouvement, ils demeurent dans une totale immobilité. Au contraire la musique est mouvement ; elle ne reste pas en place, elle bouge, remue, avance. Elle convient donc mieux quand il s'agit d'exprimer l'existence croyante et la relation avec Dieu. La foi n'est pas, en effet, un immeuble, un monument, un objet, mais un cheminement, un voyage, un dynamisme qui amène sans cesse du nouveau. Elle est vivante telle une symphonie qui se déroule dans des moments successifs, et non inerte comme les représentations entoilées ou pétrifiées, où tout est donné en même temps dans un espace immuable.

Ensuite, les tableaux et les statues courent le risque, plus que les sons, de devenir des idoles. Le décalogue interdit de se faire des images de Dieu, parce que ces images, il y a de fortes chances qu'on les installe dans des sanctuaires, qu'on construise autour d'elles une piété, qu'on leur rende un culte et qu'elles deviennent des objets sacrés. Une idole est une image que l'on divinise, et plus elle est belle, plus cette dérive la menace. Avec la musique, il est beaucoup plus difficile, même si ce n’est pas impossible, d'en arriver là, parce qu'elle nous échappe ; elle nous atteint sans qu'on puisse la retenir, elle relève du temps qui s’écoule non de l’espace qui demeure. De par sa nature même, elle résiste bien plus et beaucoup mieux à l’idolâtrie que l’image ou l’icône.

Je sais bien qu'aujourd'hui, nous avons avec les films des images qui bougent et avec les disques de la musique capturée, mais avez-vous remarqué qu'un magnétoscope fait facilement des arrêts sur image, alors qu'aucun appareil ne peut faire d'arrêt sur son, parce que le son ne stationne pas ? Même si le théâtre et l’opéra combinent audition et vision, même si les techniques modernes diminuent ou atténuent leur différence, la distinction demeure. Le son nous atteint et nous ne pouvons pas le retenir, de même que Dieu vient vers nous sans que nous puissions mettre la main sur lui. Nous manipulons et nous dominons beaucoup plus l’image. C'est pourquoi, lorsqu’il s’agit de faire percevoir quelque chose de Dieu, la musique a un avantage sur la peinture et la sculpture.

L’art, louange et spiritualité

La plupart des textes de l'Ancien et du Nouveau Testament qui parlent de musique l'associent étroitement avec la louange. Ils suggèrent que le musicien, qu'il soit compositeur ou exécutant, a essentiellement pour fonction et vocation d'introduire la louange dans notre vie.

Il faut le reconnaître, la louange n’est pas fréquente. Le mécontentement et la récrimination sont beaucoup plus répandus. Nous avons de nombreux et sérieux motifs de colère et de désolation. Le spectacle du monde a de quoi nous indigner ou nous révolter, les problèmes de l'existence pèsent souvent très lourdement sur nous. La vie nous oblige sans cesse à grogner, à rouspéter, à maugréer, à nous lamenter, à tel point que nous devenons hypersensible à ce qui va mal. Lorsque, par hasard, tout se passe à peu près bien, nous ne nous en apercevons même pas.

La foi biblique, tout en étant ouverte et attentive aux soupirs, aux gémissements et aux pleurs nous ouvre à une autre dimension des choses. Elle nous fait découvrir qu'il y a aussi de la beauté dans le monde, que quantité de biens nous sont donnés, que l’existence nous fait beaucoup de cadeaux, qu'il y a, pour chacun de nous, des moments de bonheur, petits ou grands. Et surtout, elle nous fait sentir la présence de Dieu qui nous soutient, nous accompagne, et nous guide. Elle suscite en nous, en dépit des difficultés et des souffrances, de l'admiration, de l'émerveillement et de la reconnaissance. La louange correspond à cette autre dimension des choses, nous y rend sensible, nous permet de la percevoir.

La Bible associe la musique à l’admiration, à l'émerveillement et au remerciement. Quand le malheur nous envahit, la musique devient impossible. Dans le psaume 137, les israélites exilés et déportés loin de leur pays suspendent leurs harpes aux saules qui bordent l’Euphrate et se déclarent incapables de chanter lorsque leurs vainqueurs les y invitent. Pour faire saisir le malheur qui s'abattra à la fin des temps sur Babylone, l'Apocalypse (18/22) nous dit qu'on n'y entendra plus le son des luths, des flûtes, et des trompettes. L'absence de musique indique le comble de la misère et de la désolation.

Certes, la Bible mentionne aussi les complaintes, les élégies que l'on chante dans le malheur. Toutefois, même quand elle est d’une poignante tristesse, la musique a, pour la culture juive, un effet réconfortant, apaisant, consolant. Au milieu des pires douleurs et des plus grandes agitations, elle adoucit et soulage. Ainsi, David calmait les accès de fureur et de folie du roi Saül en jouant de la harpe. L'apôtre Jacques souligne ce lien entre la musique et la joie quand il écrit que la souffrance appelle à la prière et que la joie suscite le chant. L'existence croyante va de l'une à l'autre, elle n'ignore pas la supplication et le cri désespéré, que rappellent nos croix et de nombreux tableaux qui dépeignent avec tant de force misères et horreurs. L'existence croyante connaît aussi la louange et l'adoration, cette joie de vivre que donne la foi et que la musique sait si bien traduire.

Peut-on aller plus loin et dire que les différents arts, la musique et les autres, même quand ils n’ont rien de religieux, traduisent la spiritualité ou le désir de spiritualité qui nous habite tous, croyants et mécréants ? J’aurais, pour ma part, tendance à le penser. Les grecs disaient que l'art est divin ; un chrétien pourrait, me semble-t-il y voir une trace ou une œuvre de l'Esprit en nous. Comme tout animal, l'être humain a besoin de nourriture, d'abri, de sécurité et de santé. Mais cela ne lui suffit pas ; il lui faut aussi de la beauté, il est d’ailleurs possible qu’il en aille de même pour certains animaux. L'existence physique ne le comble pas. La connaissance, le savoir non plus. Il tient, à juste titre, en haute estime la parole rationnelle, logique qui explique, analyse et démontre ; pourtant, elle ne le satisfait pas entièrement, elle n'arrive pas à dire tout ce qu'il sent et éprouve. Il ne peut pas non plus s'en tenir à la fonctionnalité pratique et en faire la valeur suprême. Que nous percevions et produisions de la beauté témoigne que se trouve en nous l’aspiration à quelque chose qui à la fois nous touche et nous dépasse. L’art nous donne accès à ce que le langage n'arrive pas à dire, à ce que l'intelligence ne peut pas calculer, à ce que la pensée ne parvient pas à déchiffrer, et qui pourtant nous habite, nous anime et apporte à notre existence sens, élan et profondeur. Aussi me paraît-il profondément et intimement lié avec la spiritualité

Polyphonies des communautés chrétiennes

Les grands réformateurs ont été des musiciens. Luther et Zwingli aimaient chanter et ils ont composé des cantiques. Si Calvin voulait éviter que les cultes soient le prétexte des concerts donnés par des virtuoses, par contre il tenait beaucoup au chant d'assemblée, auquel tous les fidèles participent ; il souhaitait non pas une chorale qui chante devant un auditoire, mais une chorale qui fasse chanter l’assemblée. Le protestantisme a beaucoup cultivé la musique. Comment ne pas mentionner Jean-Sébastien Bach, imprégné par la spiritualité et la théologie luthériennes, comme l'a très bien montré, dans son premier livre, Albert Schweitzer, qui était à la fois pasteur, philosophe, médecin et organiste ?

Il me paraît cependant faux de prétendre, comme on le fait parfois, que le protestantisme privilégierait la musique alors que le catholicisme préférerait la peinture et la sculpture. Un tel jugement oublie la très belle musique grégorienne, italienne, autrichienne d'inspiration catholique et néglige la grande peinture d'inspiration protestante illustrée, entre autres, par Rembrandt, Franz Hals et Van Gogh. Je ne crois pas qu'on puisse répartir les arts entre les Églises ou les confessions chrétiennes.

Par contre, il me semble que la musique nous fournit aux uns et aux autres un modèle très intéressant pour penser et vivre l'unité de la foi. Trop souvent, on estime que cette unité demande que tous les chrétiens croient, prient, célèbrent les sacrements de la même manière, qu'ils pensent et affirment les mêmes choses, qu'ils défendent et suivent des valeurs identiques, qu'ils s'expriment d'une seule voix. Si on transpose, cela reviendrait à faire de l'unisson le seul vrai modèle du chant et du solo l'idéal ou le sommet de la musicalité. Or la chorale, l'orgue, l'orchestre associent des voix, des jeux, des instruments qui diffèrent, qui suivent chacun une partition propre, même si elle se combine avec celle des autres. Le génie et la richesse de la musique lui permettent d'éviter l'uniformité quelque peu lassante et mutilante de la note unique et d'allier des diversités, de les faire participer à quelque chose que l'on pourrait comparer à une communion dans la différence. La musique nous apprend que les discordances ne sont pas forcément fâcheuses ou appauvrissantes ; au contraire, elles donnent de la puissance et de l'ampleur à nos musiques, elles leur permettent de se développer et de s'épanouir. J'ai souvent plaidé pour une communion œcuménique et des communautés paroissiales qui n'annulent pas les divergences et les débats, mais qui apprennent à en faire un bon usage, à s'en servir de manière constructive et non destructive, à l’exemple de la musique qui vit de contrastes et de tensions. Évidemment ce souhait ou cette recommandation vaut également pour les relations entre personnes et les rapports entre peuples.

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Le psalmiste nous appelle à chanter l'Éternel. cette invitation prend pour moi une triple dimension.

Chantons l'Éternel, d'abord, parce que l’idolâtrie menace moins la musique que les représentations picturales.

Chantons, ensuite, parce que le chant témoigne de cette dimension autre de la vie humaine qui ne la réduit pas au matériel et au rationnel, même s’il n’est pas question d’en nier ou d’en amoindrir l’importance. La foi introduit dans notre vie une joie et une louange qui se chantent ; elle n’élimine pas problèmes, tristesses et souffrances, mais nous aide à les affronter, à ne pas les laisser nous submerger.

Enfin, chantons à plusieurs voix, chacun avec notre tonalité et notre timbre propres, en nous servant d'instruments différents, qui évitent une musique monocorde et monotone, sans tomber dans la cacophonie, en cultivant des polyphonies symphoniques où les différences ne s'annulent pas, mais s'associent, où la diversité, voire les divergences contribuent à une harmonie qui les respecte, et s'enrichit de leur apport.

Même si nous ne sommes pas musiciens, l'action de l'Esprit en nous rend notre vie musicale.

André Gounelle

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André Gounelle

Professeur émérite de la faculté de théologie protestante de Montpellier

Webmaster : Marc Pernot