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Progrès ou déclin ?

 

L’humanité progresse-t-elle ? Aux 18ème et 19ème siècles, beaucoup de gens estimaient qu’une amélioration générale avait eu lieu et qu’elle se poursuivrait sans fin. Tout le monde n’était pas de cet avis ; certains parlaient de décadence et regrettaient « l’ancien régime ». Mais la majorité des occidentaux voyaient dans l’histoire une marche ascendante depuis une situation insatisfaisante vers un état bien supérieur.

Les échecs et les guerres du vingtième siècle ont ébranlé cet optimisme. En 1933, Schweitzer écrit : « À la génération qui a cru au progrès … la situation actuelle donne la preuve terrible qu’elle s’est trompée ». « Au lieu de progrès, note Tillich en 1952, les contemporains parlent de crise ». En 2019, nous avons l’impression d’aller de plus en plus mal ; la planète se dégrade ; misères et injustices, souffrances et violences empirent.

Pourtant, peu d’entre nous accepteraient de revenir à un monde sans sécurité sociale ni congés payés, sans machine à laver ni smartphone, sans trams, bus, trains, automobiles et avions pour se déplacer. Alors que penser ? L’humanité vit-elle mieux ou plus mal qu’autrefois et naguère ? Cette question appelle trois remarques.

D’abord, gardons-nous des jugements d’ensemble. Notre existence a de multiples dimensions et les choses ne se passent pas partout de la même manière. Ainsi, la croissance de la technique est impressionnante ; elle permet à l’homme de faire ce qui naguère lui était impossible et elle le soulage en partie de tâches écrasantes et asservissantes. L’homme a-t-il en même temps grandi en sagesse et en bonté ? Ses comportements se sont-ils autant améliorés que ses capacités d’actions ? C’est douteux. Schweitzer attribue les drames de son époque au décalage entre d’immenses progrès matériels et des progrès éthiques nuls ou faibles. Il y a aussi des domaines où l’idée de progrès n’a aucun sens : ainsi Baudelaire la déclarait « absurde » en peinture, en musique, en littérature.

Ensuite, toute avancée est ambivalente. Le développement de la technique à la fois facilite la vie, amène du confort et entraine des dégâts considérables (pensons à la pollution et à l’épuisement des ressources naturelles). Chaque avantage obtenu s’accompagne de quantité d’inconvénients. « L’humanité, écrit Bergson, gémit à demi écrasée sous le poids des progrès qu’elle a faits ». Parce que le moderne peut faire mieux que ses ancêtres, il a la possibilité de faire aussi pire et il ne s’en prive pas. La capacité pour le bien et celle pour le mal grandissent conjointement. Ce qu’indique bien le thème mythologique du déchaînement des puissances diaboliques au moment où le Royaume de Dieu est le plus proche.

Enfin, la marche de l’humanité ne se fait pas de manière linéaire et continue. Il y a des temps féconds, où des avancées positives s’opèrent et où s’ouvrent des possibilités prometteuses qu’il faut savoir saisir et exploiter ; ce sont des kairoi (en grec ce mot signifie « occasions favorables »). À d’autres moments, on constate des piétinements, des blocages, des crises, des reculs ; des équilibres se défont ; la brutalité et la sauvagerie s’accroissent. Il importe alors de « résister ».

Plutôt que de discuter à l’infini sur l’absence ou la présence de progrès, nous ferions mieux de nous accorder pour en faire un objectif à atteindre ou un idéal à cultiver. Dans les situations, bonnes ou mauvaises, que nous vivons, tâchons toujours de faire advenir du mieux.

André Gounelle
Évangile et Liberté, octobre 2019.

 

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André Gounelle

Professeur émérite de la faculté de théologie protestante de Montpellier

Webmaster : Marc Pernot