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Quatrième Partie
L’ecclésiologie dans le Protestantisme

 

Chapitre 11 :
Les ministères

La question des ministères fait partie de celles sur lesquelles butent le plus fortement les efforts de rapprochement entre les Églises. Elle représente l'une des difficultés majeures que rencontre aujourd'hui le dialogue interconfessionnel. Les différentes confessions chrétiennes ne parviennent pas à s'entendre; elles se divisent et se heurtent à son propos. Il s'agit d'un débat épineux. En 1951, le Conseil Œcuménique le constate dans un document de préparation de la conférence de Lund qui déclare : "la question des ministères s'est révélée depuis quarante ans comme la difficulté la plus insurmontable pour les Églises cherchant l'unité". Trente ans plus tard, en 1982, le même Conseil Œcuménique publie le document Baptême, Eucharistie, ministère, dont plus de la moitié concerne les ministères, qui a soulevé de fortes réticences chez les protestants, surtout chez les réformés et les radicaux, moins chez les luthériens.

Que représentent les ministères dans le protestantisme? Quelle valeur leur accorde-t-on? Pour répondre à cette question, il faut, d'abord, définir ce que les protestants entendent par "sacerdoce universel", ensuite, s'interroger sur la relation entre le ministre et la communauté; enfin, traiter de la diversité des ministères. Ces trois parties s'achèveront par une brève conclusion sur la nécessité ou l'utilité des ministres.

1. Le sacerdoce universel

1. Formulation de la doctrine

Le protestantisme des dix-neuvième et vingtième siècles accorde une très grande importance à cette doctrine du sacerdoce universel. Certains auteurs vont parfois jusqu'à la mettre sur le même plan que les deux principes fondamentaux de la Réforme, la justification gratuite et l'autorité souveraine des Écritures en matière de foi*. Pourtant, si on l'a effectivement définie et défendue dès les débuts de la Réforme, on constate qu'elle n'y occupe qu'une place réduite et qu'on ne l'a guère développée. Luther la formule et l'explicite dans les trois grands écrits réformateurs de 1520, à savoir la Lettre à la noblesse chrétienne de la nation allemande, De la captivité babylonienne de l'Église et le Traité de la Liberté chrétienne*. Il n'en parlera pratiquement plus ensuite, probablement parce qu'il la trouve trop dangereuse et qu'il craint les dérives qu'elle pourrait entraîner. Voici la manière dont il la présente dans la Lettre à la noblesse chrétienne :

On a inventé que le pape, les évêques, les prêtres, les gens des monastère seraient appelés "état ecclésiastique", et que les princes, les seigneurs, les artisans et les paysans seraient appelés "état laïc", ce qui est, certes, une fine subtilité, et une belle hypocrisie. Personne ne doit se laisser intimider par cette distinction pour cette bonne raison que tous les chrétiens appartiennent vraiment à l'état ecclésiastique; il n'existe entre eux aucune différence, si ce n'est celle de la fonction ... nous avons un même baptême, un même évangile, une même foi, et sommes de la même manière chrétiens, car ce sont le baptême, l'évangile et la foi qui seuls forment l'état ecclésiastique. ce que fait le pape ou l'évêque, à savoir l'onction, la tonsure, l'ordination, la consécration ... peuvent transformer un homme en cagot ou en idole barbouillée d'huile, mais ils ne font pas le moins du monde un membre du sacerdoce ou un chrétien. En conséquence, nous sommes absolument tous consacrés prêtres par le baptême".

Ce texte appelle trois brèves remarques :

1. D'abord, Luther ne s'y embarrasse guère de diplomatie et il n'adopte pas le discours feutré et sucré qui règne aujourd'hui dans les dialogues interconfessionnels.

2. Ensuite, il se réfère à la structure de la société du seizième siècle: les souverains, la noblesse, les artisans, les paysans, et en face d'eux, séparés d'eux, formant une catégorie distincte, mais également hiérarchisée et diversifiée (pape, évêques, prêtres, religieux), les ecclésiastiques. En fait, il s'agit d'une structure préurbaine. Le sacerdoce universel reflète implicitement un refus de distinctions autre que fonctionnelles (les gens se distinguent par les fonctions qu'ils remplissent, non par leur appartenance à des "ordres", des "castes" ou des "états") qui correspond mieux à la société urbanisée en train de naître en Europe*.

3. Enfin, en niant la distinction entre ecclésiastiques et laïcs, en déclarant que tous sont prêtres, Luther met en cause une partie de l'organisation de la société de son époque. D'autres, ceux qui suivent et entourent Thomas Müntzer, iront plus loin que Luther et refuseront les hiérarchies, par exemple celle entre la noblesse et le peuple. Peut-être, la réserve, voire le silence dont Luther fera preuve ensuite à l'égard du sacerdoce universel s'explique par la crainte que la contestation ecclésiale ébranle l'ensemble de l'ordre social.

Sur le plan théologique, la doctrine du sacerdoce universel affirme que tous les fidèles sont prêtres. Leur baptême les consacre à la prêtrise. Par conséquent, on ne doit pas distinguer dans l'Église deux catégories de gens, d'une part les religieux ordonnés qui forment le clergé, d'autre part les fidèles ordinaires qui constituent le laïcat. Dans la relation avec Dieu, et dans les rapports entre frères dans la foi, règne une complète égalité. Personne n'a de privilège ni de supériorité par rapport aux autres.

2. Critique et rejet du sacerdoce ministériel

Comme le montre à l'évidence le texte de Luther que l'on vient de citer, la doctrine du sacerdoce universel a une portée polémique et contestataire. Elle s'attaque à la distinction fondamentale non seulement dans l'Église, mais dans la société du Moyen Age entre les clercs et les laïcs, entre les ecclésiastiques et les "simples fidèles", entre ceux que l'on qualifie de "religieux" et les croyants ordinaires. Pour Luther, tous les fidèles sont prêtres. Le baptême les consacre au sacerdoce. Ils sont donc tous à égalité. Il n'existe aucune différence fondamentale entre les chrétiens; il n'y a pas plusieurs "états" dans l'Église.

Il importe de bien situer l'opposition. Il n'y a pas débat sur le fait qu'il existe un sacerdoce universel, commun à tous les fidèles. L'Église catholique l'enseigne, le proclame, affirme son importance*. Il consiste à faire connaître l'évangile aux êtres humains et à prier Dieu pour le monde. Tous les croyants doivent remplir cette mission et s'en sentir responsables. Comme le dit la première épître de Pierre*, ils forment "une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple racheté afin d'annoncer les vertus de celui qui nous a appelés des ténèbres à son admirable lumière". Sur ce point, catholicisme et protestantisme s'accordent. Leur divergence vient de ce que le sacerdoce universel exclut pour les protestants tout sacerdoce particulier, alors que le catholicisme ajoute au sacerdoce commun à tous les chrétiens un sacerdoce ministériel exercé par quelques-uns, par les prêtres ordonnés qui constituent le clergé. Ces deux sacerdoces "diffèrent essentiellement", affirme le Catéchisme de l'Église catholique. Entre eux, déclare le second Concile du Vatican dans sa constitution Lumen Gentium, existe une différence non pas seulement de degré, mais d'essence ou de nature. Au sacerdoce ministériel, tel que le conçoit le catholicisme, le protestantisme adresse quatre grandes critiques.

1. Il établit une médiation entre Dieu et les fidèles. La fonction sacerdotale a deux faces, l'une dirigée vers Dieu, l'autre tournée vers le peuple croyant. D'un côté, au nom du peuple chrétien, le prêtre offre le sacrifice eucharistique à Dieu; ce faisant il porte et donne en quelque sorte les fidèles à Dieu. De l'autre côté, en consacrant et en distribuant l'hostie, le prêtre porte Dieu et le donne aux fidèles. Il est donc semblable à Christ qui, dans la doctrine traditionnelle, représente Dieu devant les humains et représente les humains devant Dieu. L'ordination "configure au Christ" celui qui la reçoit, déclare le concile de Vatican 2, et de nombreux textes catholiques soulignent ce caractère christique du prêtre* que refusent catégoriquement les protestants. Pour eux, il y a un seul médiateur, Jésus Christ. Ils reprochent au catholicisme de confondre les serviteurs avec le maître, en conférant au prêtre des fonctions qui appartiennent seulement à Jésus.

2. La deuxième critique porte sur le caractère obligatoire de la médiation sacerdotale. Le catholicisme juge la prêtrise absolument nécessaire. Il ne faut pas voir seulement en elle une aide, un auxiliaire qui serait utile, sans être indispensable. En dehors de la prêtrise, des relations entre Dieu et le croyant peuvent certes exister; néanmoins, elles demeurent incomplètes, insuffisantes, imparfaites. Aux yeux des protestants, cette médiation obligatoire porte atteinte à la fois à la souveraineté divine et à la liberté humaine. À la souveraineté divine, car elle oublie ou nie que Dieu agit et se manifeste là où il le veut, quand il le veut, qu'il n'a besoin de rien ni de personne, qu'il ne se lie à aucune institution. À la liberté humaine, parce que le fidèle n'a pas accès directement à Dieu; il dépend d'un clergé.

3. La fonction sacerdotale, telle que le catholicisme la comprend, implique la célébration d'un sacrifice, celui de la messe, offert à Dieu. Pour la Réforme, le ministère a pour fonction d'annoncer l'évangile, de le prêcher et de l'enseigner. Il n'a pas de dimension ou d'aspect sacrificiel. Autrement dit, il n'offre pas quelque chose à Dieu; il ne lui fait aucun don. Il proclame ce que Dieu offre et donne aux être humains. Dans leurs relations avec Dieu, les fidèles reçoivent tout et n'apportent rien, ou du moins n'apportent rien d'autre que leur louange, quand ils remercient Dieu et le bénissent pour ses bienfaits. L'idée de sacrifice implique une "œuvre" et nie le sola gratia.

4. La quatrième critique concerne la mise à part du clergé, sa séparation d'avec le laïcat. Par son ordination, le prêtre sort du troupeau pour entrer dans un "ordre". Il n'est plus comme tout le monde. Il revêt un caractère sacré qui le met à part et le distingue des autres croyants. La distinction se marque, entre autres, par le célibat, sans que cette marque ne soit fondamentale ni absolument nécessaire. Théologiquement, rien n'empêche d'admettre des prêtres mariés. Le célibat, qui ne se répand et ne se pratique de manière générale qu'à partir des dixième et onzième siècles, tient aux circonstances, au contexte, à la situation historique. Plus profondément, le prêtre se distingue par deux éléments :

- Premièrement, seul, il a le pouvoir de célébrer l'eucharistie et d'opérer la transsubstantiation des espèces. Pour la Réforme, au moins en principe, n'importe quel fidèle peut accomplir tous les actes cultuels et remplir toutes les fonctions ecclésiastiques. Luther le précise très clairement*. :

"Que tout homme qui se reconnaît chrétien soit assuré et sache ... que nous sommes tous également prêtres, c'est à dire que nous avons le même pouvoir à l'égard de la parole et de tout sacrement"

Dans la Lettre à la noblesse chrétienne, il écrit * :

"Si une petite troupe de pieux laïcs chrétiens était faite prisonnière et déportée dans un lieu désert, s'ils n'avaient pas près d'eux un prêtre consacré par un évêque ... ils choisiraient l'un d'eux, qu'il soit ou non marié, et lui confieraient la charge de baptiser, de célébrer la messe, d'absoudre et de prêcher; celui-là serait vraiment un prêtre, comme si tous les évêques et les Papes l'avaient consacré".

Au dix-septième siècle, le pasteur français du Moulin envisage l'hypothèse de naufragés chrétiens sur une île déserte, et déclare que sans ministres, ils ont le droit de célébrer la Cène (à cette époque, Robinson devient un sujet de réflexion théologique).

- Un deuxième élément distingue le prêtre. Il le reste quoi qu'il arrive. Son ordination imprime une marque indélébile à sa personne. La liturgie d'ordination souligne que celui qui la reçoit devient prêtre pour l'éternité. Cette caractéristique, naguère très forte, a été exploitée dans le roman et le cinéma avec le thème du "défroqué" qui n'arrive pas à se débarrasser de sa prêtrise, elle lui colle à la peau. Elle tend aujourd'hui à s'atténuer avec la multiplication et la banalisation des "réductions à l'état laïque", bien qu'en principe, elle demeure. Au contraire, dans le protestantisme, le ministère est une fonction qu'exerce quelqu'un, mais qui ne change pas son être. S'il abandonne ses fonctions, il n'est plus pasteur. Le pasteur se définit par son activité, par son faire, non pas un être spécial. "Celui qui ne prêche pas la parole, écrit Luther, ... n'est d'aucune manière pasteur ... c'est le ministère de la parole qui fait le pasteur"*. D'où les réticences, dans le protestantisme, de continuer à appeler "pasteur" un ministre qui exerce d'autres fonctions, qui prend, par exemple, la direction d'une œuvre ou qui devient professeur de théologie.

3. Les trois interprétations du sacerdoce universel.

Après les critiques que le protestantisme adresse au sacerdoce particulier, voyons maintenant la signification qu'il donne au sacerdoce universel. On en a proposé trois interprétations différentes.

1. Pour beaucoup, cette doctrine veut dire purement et simplement qu'il n'y a plus de sacerdoce. Le sacerdoce implique en effet une distinction entre les prêtres et les fidèles, et n'a de sens que dans cette distinction. Si on l'abolit, du même coup, on fait disparaître la notion de clergé. Tous les chrétiens sont exactement sur le même plan, appartiennent au même ordre, ou au même état, même si certains exercent, pour des raisons pratiques, des fonctions particulières. Nous sommes tous, y compris les pasteurs, des laïcs. En ce sens, Troeltsch a pu qualifier le protestantisme de "religion de laïcs"*, parce que dépourvue, en principe, de clergé. Le sacerdoce universel, selon cette première interprétation, signifie que chacun est son propre prêtre; chacun est prêtre pour lui-même, parce qu'il a accès directement à Dieu et au Christ, et n'a pas besoin d'intermédiaire. "Avec le sacerdoce, écrit Luther*, la dignité nous est donnée de nous présenter devant Dieu ... nous osons venir devant Lui". Par contre, personne n'est prêtre pour les autres; aucun être humain, aucun ministre ne s'interpose entre Dieu et le croyant.

2. Pour d'autres, la doctrine du sacerdoce universel ne signifie pas: "nous sommes tous laïcs, y compris les pasteurs". À l'inverse, elle proclame: "nous sommes tous prêtres, y compris les laïcs". Elle ne déclare pas qu'il n'y a plus de prêtres; elle affirme qu'il n'y a plus de laïcs. Dans cette perspective, le protestantisme serait une religion de prêtres, et non de laïcs. Loin de supprimer le sacerdoce, on l'étend à l'ensemble des fidèles. Il ne définit pas un petit groupe de clercs, il caractérise tous les chrétiens. Chacun, de par son baptême, devient prêtre non seulement pour lui, mais pour tous les autres, dans la mesure où il a à prier pour eux (Luther y insiste beaucoup*), à leur faire connaître Jésus Christ et à témoigner auprès d'eux de l'évangile. Dans cette perspective, la doctrine du sacerdoce universel autorise également chaque fidèle à accomplir tous les actes du culte (y compris la célébration des sacrements) et à remplir toutes les fonctions ecclésiastiques. Il n'existe pas de domaines réservés aux ministres. Souvent, les orthodoxes et les catholiques reprochent aux protestants d'accepter que des laïcs non ordonnés président la cène. Ils y voient un des points les plus graves de désaccord entre les diverses Églises.

3. Certains courants qui se situent dans la mouvance de la Réforme radicale ont pensé que le sacerdoce universel signifiait l'illégitimité de toute formes de ministère. Quelques groupes, par exemple les mennonites et les darbystes, ont voulu et mis en place des communautés sans pasteurs. Souvent, ils considèrent que la création d'un corps de ministres constitue la faute majeure que peut commettre une Église. Il en résulte inévitablement des problèmes d'autorité, de pouvoir, et d'argent qui viennent vicier la vie communautaire. De plus, l'institution du ministère confère à des êtres humains une valeur religieuse indue. Elle leur accorde des prérogatives contraires à l'enseignement de l'évangile. Elle nie ou contredit la liberté et la spontanéité de l'Esprit qui agit directement, sans aucune médiation.

Luthériens et réformés ont vivement réagi contre cette manière de voir. Dès 1520, dans le Traité de la Liberté chrétienne, Luther souligne qu'il n'entend pas supprimer les ministères*.

"S'il est vrai que nous sommes tous également prêtres, nous ne pouvons cependant pas tous être chargés du service et de l'enseignement publics".

La Confession helvétique postérieure de 1566, confession réformée, déclare*. qu'il faut

"se garder d'attribuer tellement à la vertu secrète du Saint Esprit ... que nous anéantissions le ministère ecclésiastique ... La prêtrise ... est commune à tous les chrétiens, mais non pas les ministères."

 Le sacerdoce universel n'entraîne nullement une indivision ministérielle. Les ministres spécialisés ne sont pas nécessaires pour des motifs théologiques fondamentaux, parce qu'il seraient seuls qualifiés à remplir certaines fonctions. Ils sont cependant utiles pour des raisons pratiques. Tout le monde n'a pas acquis les connaissances et la formation qui permettent d'expliquer pertinemment la Bible ou de célébrer avec ordre et dignité une cérémonie publique. Dans beaucoup de domaines, on fait appel à des techniciens non pas parce qu'il serait interdit de s'en occuper directement, mais parce que l'on manque d'habileté ou de temps pour faire soi-même le travail.

4. Conclusion

Le schéma de Schleiermacher permet de clarifier ce débat et de trancher entre ces interprétations. Je le rappelle :

Protestantisme : CHRIST----->FIDELE----->COMMUNAUTÉ

Catholicisme : CHRIST----->COMMUNAUTÉ----->FIDELE

Pour le catholicisme classique, le sacerdoce se situe entre le Christ et les fidèles. Il représente un pont nécessaire, un point de passage obligé. Le protestantisme écarte et nie le sacerdoce ainsi défini, et affirme qu'il n'y a plus de prêtres (première interprétation). Par contre, le ministère intervient au niveau de la communauté et de son organisation. La troisième interprétation ("il ne doit pas y avoir de ministres") repose sur une confusion entre sacerdoce et ministère. On peut parfaitement contester la légitimité d'un ministère institué et vouloir s'en passer. On ne peut pas le faire au nom de la doctrine du sacerdoce universel qui parle d'autre chose.

Reste la seconde interprétation. Elle propose d'ajouter un élément supplémentaire, le monde, au schéma de Schleiermacher qui, alors, se présenterait ainsi :

CHRIST----->FIDELE----->COMMUNAUTÉ----->MONDE

Dans cette hypothèse, la doctrine du sacerdoce universel concernerait, comme le soutient Von Allmen*, non pas l'organisation interne de la communauté chrétienne, mais sa mission envers le monde. Cette mission consiste, d'une part, à présenter le Christ au monde par la prédication de l'évangile; d'autre part à présenter le monde à Dieu par la prière. On peut effectivement comprendre en ce sens la doctrine du sacerdoce universel, à condition d'apporter trois précisions: d'abord, que la communauté n'exerce pas un sacerdoce de type sacrificiel; ensuite, que ce sacerdoce n'a rien d'obligatoire (Dieu peut agir autrement que par l'Église); enfin, que ce sacerdoce a un caractère provisoire, intérimaire (il disparaît quand s'établit une relation directe avec le Christ).

2. Ministres et communautés

La question du rapport ou du lien entre le ministre et de la communauté peut se formuler ainsi : Qui commande dans l'Église? Qui décide des objectifs et détermine les priorités? Qui donne les consignes? Les pasteurs guident-ils, conduisent-ils leurs paroisses, ou les paroisses disposent-elles de leurs pasteurs, ont-elles le droit de leur donner des ordres? A cette question, on a apporté au seizième siècle, et on continue d'apporter trois réponses différentes.

1. L'institution

La première se caractérise par le thème de l'institution. Elle considère qu'une décision et une institution divines donnent naissance au ministère. Le Christ l'a lui-même mis en place. Il a choisi quelques hommes, les disciples et les apôtres. Il les a chargés de rassembler, d'instruire, de diriger, de nourrir et de gouverner la foule des croyants, afin qu'elle ne soit pas "comme des brebis sans bergers"*. Dans un second temps, les disciples et les apôtres, sous l'inspiration du Saint Esprit, ont transmis la charge qui leur avait été confiée et remis les pouvoirs qu'ils avaient reçus à d'autres hommes qu'ils ont "ordonnés" à cet effet. A chaque génération, jusqu'à aujourd'hui, on a fait de même. Il en résulte une chaîne ininterrompue qui a son origine et sa légitimation en Christ. Par l'intermédiaire des apôtres et de leurs successeurs, chaque ministre, au moment de son ordination, reçoit du Christ lui-même sa mission et ses pouvoirs*. On peut figurer cette première réponse par le schéma suivant :

Christ-------> Ministre-------> Communauté

Cette thèse de l'institution appelle trois remarques.

1. Le ministère ainsi compris forme à travers les siècles une continuité, qui a une grande importance parce qu'elle fonde sa légitimité. D'où l'insistance sur la succession apostolique. Il appartient à chaque génération de ministres de découvrir et d'habiliter, au nom du Christ, ceux qui vont se joindre à eux et poursuivre leur œuvre. La cérémonie d'ordination ou de consécration consiste en une transmission de ministre à ministre. Des laïcs peuvent y être associés, mais ils n'officient pas. On ne peut pas donner ce qu'on ne possède pas, ni transmettre ce que l'on n'a pas reçu.

2. Dans cette perspective, le ministre n'est pas un fidèle semblable et égal aux autres, un membre de la communauté comme les autres. A strictement parler, il n'en fait même pas partie. Il en est sorti, lui est devenu extérieur, se trouve en face d'elle, au dessus d'elle. Son ordination le met à part, lui donne un statut unique. On invite les fidèles à voir en lui l'ambassadeur, le représentant du Christ auprès d'eux. Il est envoyé à la communauté et a sur elle une autorité qui ne tient pas à sa valeur personnelle ni à ses compétences mais à l'élection divine, à son lien particulier avec le Christ. La communauté doit le respecter, lui obéir, car il agit et parle au nom du Christ, à sa place. Il en est, au sens fort, le lieutenant (ceux qui en tient lieu)*. De nombreux textes catholiques et plusieurs documents du Conseil Œcuménique indiquent que le ministre parce qu'étranger à sa paroisse constitue un signe ou un symbole de l'altérité divine. Ils soulignent que la présidence du sacrement par un ministre marque bien que le Christ (et non la communauté) invite à la table de communion et préside à la distribution du pain et du vin. Les réserves vis-à-vis de l'ordination des femmes viennent en partie de ce que l'on voit dans le prêtre la figure de Jésus, qui doit être masculine pour le bien représenter.

3. Cette manière de comprendre le ministère s'apparente de manière frappante avec l'idéologie royale de l'époque classique (dix-septième siècle). Elle considère que le roi incarne le pays. Il parle et agit en son nom. Il le symbolise vis-à-vis de ses sujets comme des étrangers. De manière analogue, le prêtre incarne l'Église et représente le Christ pour les fidèles et les infidèles. Le roi reçoit son pouvoir et sa légitimité par héritage et non par le consentement du peuple. De même, le ministère se transmet par succession. Pourtant, le roi doit s'occuper de ses sujets; il travaille pour leur bien. Comme le prêtre, il est au service des gens, service qui implique une supériorité et autorise une domination. Le roi est roi de France et non des français. Parallèlement, le prêtre doit normalement se référer à l'Église (avec une majuscule) plus qu'à ses paroissiens.

2. La délégation

La seconde réponse se situe à l'opposé de la première. Elle en inverse la logique et en retourne la démarche. Elle se caractérise par le thème de la délégation. Elle voit dans le ministère un type d'organisation établi, et arrêté par la communauté. Le Christ a suscité et continue à susciter des croyants, auxquels il demande de prêcher l'évangile, de vivre fraternellement les uns avec les autres, et de se mettre au service de leurs prochains. Le ministère appartient à la communauté dans son ensemble, ce qu'indique bien la doctrine du sacerdoce universel.

Toutefois, dans la pratique, la communauté ne peut pas exercer ce ministère de manière indivise, indistincte et globale. Pour répondre à sa vocation et remplir sa mission, elle doit s'organiser et répartir le travail entre ses membres, en tenant compte de leurs dons, de leurs compétences et de leur disponibilité. Par souci d'efficacité, elle délègue les tâches communes à quelques personnes qui les accomplissent pour elle, au nom de tous. Elle porte la responsabilité de leur choix, les mandate et veille sur leur travail. On appelle "ministres" ses agents d'exécution, ses fonctionnaires ou ses employés. Ils dépendent donc d'elle. Elle les nomme, en dispose, détermine leur "cahier de charges", fixe les cadres et les orientations de leur activité, les déplace et met fin à leurs fonctions selon ce qu'elle juge le meilleur. On peut figurer cette seconde conception par le schéma suivant :

Christ-------> Communauté-------> Ministres.

Trois remarques permettront de préciser cette thèse de la délégation.

1. Il appartient à la communauté de discerner en son sein ceux qui sont aptes à exercer telle ou telle fonction, et de les y habiliter. Dans cette optique, la cérémonie d'ordination ou de consécration constitue une délégation. Y participent normalement des membres non ordonnés de l'Église. A la rigueur, on peut imaginer qu'aucun ministre consacré n'y intervienne; cela ne l'invaliderait nullement. En effet, le ministère ne se transmet pas de ministres à ministres; la communauté le confère. En 1673, un théologien protestant français, Pajon, écrit : "le ministère évangélique n'est pas un ministère successif, mais électif" (électif signifie ici: par l'élection du peuple de l'Église), et en 1683, le pasteur Claude déclare : "le principe de la vocation est dans le corps des fidèles"*.

2. La communauté désigne le ministre et ne le reçoit pas comme celui que lui envoie une puissance supérieure. Le ministre ne se trouve pas en face de la communauté, il en fait partie, il en est issu*, il sort de ses rangs. Il ne représente pas le Christ auprès d'elle; il la représente pour les tâches qu'elle doit assurer en son sein ou à l'extérieur. Il appartient à la communauté de définir ces tâches, de juger des priorités. En cas de désaccord le ministre doit se soumettre à ses décisions. La communauté contrôle l'exercice du ministère. Elle a un droit de surveillance et un devoir de vigilance. Éventuellement, il lui revient de sanctionner ses ministres. Elle peut confier les fonctions qu'elle délègue à titre temporaire, pour une période plus ou moins longue, mais limitée. Elles n'impliquent donc pas un engagement à vie. Il n'y a pas isolement du pasteur. Il se sait lié à la communauté, et à tous ceux qui y exercent une activité comme les catéchètes, les conseillers de paroisse, les trésoriers, les visiteurs, les organistes. Tous exercent un ministère au même titre que lui (même si les conditions de travail et les champs d'activité diffèrent).

3. Cette conception du ministère, très égalitaire et opposée à toute hiérarchie, tout en admettant des différences de responsabilités, consonne avec l'idéologie démocratique ou républicaine*. Les protestants ont souvent souligné ce parallélisme, qui les a rendus suspects au dix septième siècle, et dont ils se sont servis au dix-neuvième siècle comme argument apologétique. La communauté chrétienne désigne ses ministres, leur délègue ses fonctions et leur assigne des objectifs, exactement comme le peuple élit ses dirigeants sur un programme, et leur confère, pour une période déterminée, la souveraineté qui lui appartient. Une série d'organismes qui représentent le peuple (les assemblées parlementaires) contrôlent le gouvernement, comme le fait le conseil presbytéral pour les ministres.

3. La corrélation.

On serait tenté de qualifier la première thèse, celle de l'institution, de typiquement catholique, et la seconde, celle de la délégation, de typiquement protestante. En fait, les choses sont plus complexes. En général, les Églises luthériennes et réformées défendent une troisième réponse qui combine et modifie les deux précédentes. Elles estiment que le ministère à la fois vient du Christ et relève de la communauté. D'un côté le Christ crée et rassemble la communauté; de l'autre, il suscite et appelle des ministres. Nous avons donc le schéma suivant :

Corrélation

La communauté dépend directement du Christ, et non de ses ministres. De même, le ministre dépend directement du Christ, et non de la communauté. Il n'y a donc pas subordination, sujétion ou soumission dans un sens ou dans l'autre, mais une correspondance et une corrélation qui trouvent leur source et leur possibilité dans l'obéissance commune au Christ. Cette indépendance et cette liaison se traduisent dans une règle en usage dans beaucoup d'Églises Réformées: on ne peut pas imposer un pasteur à une paroisse ni une paroisse un pasteur; il faut qu'il y ait entente, acceptation mutuelle.

Je fais trois remarques sur cette thèse de la corrélation :

1. Le ministère se définit par une relation bipolaire: d'un côté, avec le Christ et, de l'autre, avec la communauté*. Calvin le souligne en parlant d'une double vocation, la première intérieure et secrète qui vient de Dieu, la seconde extérieure et publique qu'adresse la communauté*. Ces deux vocations sont également nécessaires pour que l'on soit vraiment pasteur. Ici, la consécration ou ordination ne consiste pas en une transmission de pouvoirs, assurant la succession régulière des ministres, comme dans la première position. On n'en fait pas non plus, comme la seconde position, une délégation de responsabilités. Selon la terminologie adoptée actuellement par l'Église Réformée de France, elle constitue la reconnaissance publique par la communauté d'un ministre donné par Dieu.

2. Le ministre n'est pas le chef de la communauté. Il n'a pas le droit de la commander et de lui imposer ses vues. Elle dépend directement du Christ, et il ne représente pas, pour elle, la figure du Christ, ni ne fonctionne comme son lieutenant. Pourtant, le ministre n'est pas non plus l'agent d'exécution de la communauté et il n'a pas à se soumettre à sa volonté. Il sert non pas l'Église, mais le Christ pour et dans l'Église. Il faut donc que ministre et communauté s'accordent, ce qui demande beaucoup d'attention réciproque, de respect mutuel et une écoute commune du Christ. On pourrait dire que le ministre doit annoncer à la communauté la Parole de Dieu, et ne pas tenter de lui imposer sa volonté ou ses idées propres, tandis que la communauté doit annoncer à son ministre la parole de Dieu, et ne pas essayer de le soumettre à son idéologie ou à ses désirs. En ce sens, le ministre est le pasteur de sa paroisse, et la paroisse le pasteur de son ministre. On a là une conception fragile et vulnérable, grosse de conflits, mais aussi féconde et équilibrée.

3. Cette conception correspond à l'idéologie préclassique de la royauté, qui a ses racines dans l'ordre féodal du Moyen Age, et que développent au seizième siècle, contre la montée de la monarchie absolue, humanistes et protestants*. Le roi tient son autorité d'un double pacte : d'une part, elle lui vient de Dieu qui lui confie la charge de diriger le peuple, d'autre part, elle implique la confiance et la reconnaissance du peuple. Le peuple doit écouter et respecter le roi que Dieu lui donne. Inversement, le peuple n'appartient pas au roi, mais à Dieu; le souverain doit donc le respecter et l'écouter. S'il viole les droits du peuple, s'il se conduit en tyran, s'il désobéit aux commandements de Dieu, le peuple peut le déposer. La royauté se légitime à la fois par l'institution divine et par le consentement du peuple. Les deux éléments sont tout aussi nécessaires l'un que l'autre.

3. Les différents ministères

Les protestants réformés, à la suite de Calvin distinguent plusieurs types de ministères. Ils les répartissent entre deux grandes catégories.

1. Les ministères exceptionnels

Ils apparaissent dans des situations spéciales, pour faire face à des problèmes particuliers. Par exemple, au premier siècle, les ministères d'évangélistes (au sens de rédacteurs des évangiles) et d'apôtres répondent à la nécessité de fonder l'Église, de lui donner des bases solides. Une fois les fondements posés, ces ministères n'ont plus de raison d'être, ils disparaissent. De même, Calvin estime que dans des situations d'infidélité et de déviance graves de l'Église, Dieu suscite des "réformateurs", comme Luther; il ne s'agit pas d'un ministère institutionnel et permanent, mais extraordinaire et temporaire. On le trouve à certaines époques de l'histoire de l'Église, pas à toutes.

2. Les ministères ordinaires

Ils existent à toute époque et en tout lieu, car ils sont utiles au bon fonctionnement de l'Église, quelles que soient les circonstances. Ils sont donc habituels et permanents. Les Réformés, Bucer, Zwingli et Calvin, en distinguent quatre.

- Premièrement, le ministère de pasteur. Dans les Ordonnances ecclésiastiques de 1541 qui organisent l'Église de Genève*, Calvin écrit que ce ministère consiste à "annoncer la parole de Dieu pour endoctriner, admonester, exhorter et reprendre, tant en public comme en particulier". Le pastorat comporte deux tâches principales : la prédication, et l'accompagnement spirituel des fidèles, ce qu'on appelle "la cure d'âme". La cure d'âme est une annonce individuelle et en privé de l'évangile, alors que la prédication en est une annonce publique et collective.

- Deuxièmement, le ministère de docteur, qui consiste à exposer et expliquer les grands thèmes de la Bible. Cet enseignement s'adresse aussi bien aux gens du peuple qu'à des "écoliers" ou étudiants. Ce ministère est moins étendu que le pastorat. "Les docteurs, écrit Calvin, n'ont point charge ... des sacrements, ni de faire des exhortations et des remontrances, mais seulement d'exposer l'Écriture ... tandis que la charge des pasteurs s'étend à toutes ces choses là"*. Autrement dit, tout pasteur exerce une fonction doctorale, car il doit expliquer et exposer l'Écriture. Par contre, le docteur n'a pas forcément une fonction pastorale, car il n'a pas à prêcher (à appliquer la parole de Dieu à la vie des gens), à célébrer les sacrements, à s'occuper de la cure d'âme.

- Troisièmement, le ministère des anciens (ou "conseillers presbytéraux"), qui consiste dans l'organisation et la direction de la communauté. Ce ministère a toujours un caractère collégial, jamais individuel (alors que les précédents et les suivants peuvent selon les cas s'exercer collégialement ou individuellement). Il n'est pas confié personnellement à tel ou tel, mais à un groupe qui en porte ensemble la responsabilité. Il revient aux anciens de faire fonctionner la communauté, de trouver et de nommer des pasteurs, de veiller à ce que tout se passe bien.

- Quatrièmement, le ministère des diacres, qui consiste à porter secours et assistance aux malheureux. Au seizième siècle, on les répartit en deux catégories: ceux qui soignent les malades; ceux qui distribuent aux pauvres l'argent recueilli au cours des collectes faites dans la communauté.

Ces quatre ministères désignent des fonctions. La même personne peut en exercer plusieurs (par exemple, être à la fois pasteur et diacre, ou docteur et ancien), comme on peut les confier à des personnes différentes. C'est une affaire de circonstances et d'opportunité. On a fait un effort considérable depuis cinquante ans dans le protestantisme pour réactiver et revaloriser les ministères d'anciens et de diacres que le ministère pastoral avait éclipsé.

Conclusion

Dans le protestantisme, on a beaucoup débattu de la question suivante: le ministère est-il un élément nécessaire, indispensable pour qu'il y ait une Église? Une communauté chrétienne qui n'aurait pas de ministre, perd-elle sa qualité d'Église? Le ministère relève-t-il de l'esse (de l'être) ou du bene esse (du bien être) de l'Église. Je précise que le bene esse désigne les conditions normales d'existence, et non le confort, le superflu, le luxe. Par exemple, il ne consiste pas pour une famille à posséder un poste de télévision et une voiture; le bene esse correspond plutôt à disposer de l'eau courante et de l'électricité, qui ne sont pas strictement indispensables à la vie, mais dont l'absence constitue, en tout cas dans nos pays, une anomalie et témoigne d'une situation de détresse. L'esse ne désigne pas un état satisfaisant; il comprend ce sans quoi il n'y a plus de vie possible, ce sans quoi on objet ou un être se décompose, ce sans quoi l'existence s'anéantit: par exemple le manque d'air pour respirer ou d'eau pour boire. Dans notre question, il ne s'agit pas de déterminer si le ministère est souhaitable ou utile, mais s'il est indispensable.

À cette question, les documents catholiques et œcuméniques, comme Baptême, Eucharistie, Ministère* répondent: le ministère fait partie de l'être de l'Église; il est indispensable pour qu'un groupe de chrétiens ne soit pas une simple communauté, mais une Église.

Chez les protestants, les avis sont partagés. Ainsi, le pasteur Claude écrit en 1683*,

"son usage [du ministère] n'est pas entièrement nécessaire ... pour l'existence de l'Église; il est, du moins, d'une utilité si grande pour sa conservation et sa propagation que s'en vouloir priver serait un crime et une impiété manifestes".

Il estime donc qu'une Église bien organisée a des ministres, mais qu'une Église peut vivre sans ministres. Le minimum de l'Église comporte la Bible, la prédication, la prière, pas le ministère.

Il ne s'agit pas d'un débat purement académique. La solution qu'on adopte a des conséquences sur l'exercice du ministère. Quand on considère qu'il appartient à l'essence de l'Église, on a tendance à tout structurer autour de lui et à partir de lui. Il devient le centre de la communauté paroissiale et le reste dépend de lui. Au contraire, si le ministère relève du bene esse, il en découle que le pasteur devra travailler non pas à se rendre indispensable, mais inutile. Il s'efforcera de former des chrétiens adultes, responsables, qui peuvent se passer de lui, et non des fidèles bien soumis et subordonnés à leurs bergers. Il me paraît bon que les ministres aient conscience que l'Église ne dépend pas d'eux pour sa vie, mais du Seigneur, et qu'ils sont des serviteurs inutiles. Inutiles, non pas parce qu'ils ne serviraient à rien. Au contraire, ils rendent quantité de service et ne font rien d'autre que de servir. Pourtant, on peut les dire inutiles, parce qu'ils ne sont pas indispensables, et qu'on peut se passer d'eux. Sans cette conscience, le ministère aura une tendance invincible à se transformer en magistère, c'est à dire en domination.

André Gounelle

Notes :

* Ainsi, J. Garrisson-Estèbe, L'homme protestant, p. 13, 88.

* M. Luther, Œuvres, v. 2, p. 84 à 86, 249 à 252, 285 à 286.

* Cf. B. Moeller, "Les villes, les livres et la Réforme en Allemagne", Bulletin de la Société de l'histoire du protestantisme français, 1993/2, p. 190-192.

* Encyclique Mediator Dei (1947), Lumen Gentium (1965), ch.2, § 10, Presbyterum Ordinis, § 2, dans G. Dumeige, La foi catholique, p. 286, 471, 477; Catéchisme de l'Eglise catholique, p.330.

* 1 Pierre, 2/9.

* Lumen Gentium (1965), ch.2, § 10, Presbyterum Ordinis, § 2, dans G. Dumeige, La foi catholique, p. 286, 471, 477.

* M. Luther, Œuvres, v. 2, p. 251.

* M. Luther, Œuvres, v.2, p. 85.

* M. Luther, Œuvres, v.2, p. 251.

* cité d'après J.P. Willaime, La précarité protestante, p. 137. Cf. A.N .Bertrand, Protestantisme, p. 34-35, qui cite et discute cette formule. P.Tillich, pour sa part, dit "un mouvement laïc", Christianity and the Encounter of World Religions, p. 48.

* M. Luther, Œuvres, v. 2, p. 285, 286.

*M. Luther, Œuvres, v. 2, p. 248, 285.

* M. Luther, Œuvres, v. 2, p.251, 286.

* Confessions et catéchismes de la foi réformée, p. 264, 267.

* J.J. Von Allmen, La vie pastorale, p. 172.

* Matthieu, 9/36.

* Catéchisme de l'Église catholique, p. 327-328.

* Cf. Jean-Paul II, Le mystère et le culte de la sainte Eucharistie. Lettre aux évêques pour le jeudi saint 1980, p. 28. Catéchisme de l'Église catholique, p. 330.

* cités d'après R. Voetzel, Vraie et fausse Église selon les théologiens protestants français du XVII° siècle, p. 111-112.

* Cette manière de voir se rencontre, entre autres, dans les milieux puritains. Cf. E. Fuchs, L'éthique protestante, p. 50.

* Cf. L. Gagnebin, "Qu'est-ce que le protestantisme? Trois définitions possibles" dans L. Gagnebin et A. Gounelle , Le protestantisme. Ce qu'il est, ce qu'il n'est pas. p. 52-54; E. Fuchs, L'éthique protestante, p. 51-53.

* Ce schéma triangulaire a été défendu par P.Menoud dans L'Église et les ministères selon le Nouveau Testament, et par le groupe œcuménique des Dombes dans un document de 1972 (Pour la communion des Églises, p. 60-61).

* Institution de la religion chrétienne 4, 3, 11. Cf. A. Vinet, Théologie pastorale, p. 69.

* voir M.Soulié "La Saint-Barthélémy et la réflexion sur le pouvoir", dans Culture et politique en France à l'époque de l'Humanisme et de la Renaissance, Academia delle Scienze di Torino, 1971, p. 418-420.

* Calvin, homme d'Église, p. 28.

* Institution de la religion chrétienne, 4, 3, 4b.

* Thèses 8, 9, 12, 22, 27 de la troisième partie.

* cité d'après R. Voetzel, Vraie et fausse Église selon les théologiens protestants du XVII° siècle, p. 106.

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André Gounelle

Professeur émérite de la faculté de théologie protestante de Montpellier

Webmaster : Marc Pernot