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Hommage à Ricœur

Je ne faisais pas partie des intimes de Ricœur. Pourtant, sa mort m’a atteint comme celle d’un proche. Chaque fois que je l’ai rencontré, j’ai été sensible à la qualité de la relation qu’il établissait. Il savait écouter les autres et leur parler. Jamais il ne jouait au professeur, encore moins au grand professeur, ni ne donnait l’impression d’avoir conscience de sa supériorité intellectuelle ; mais il suffisait de parler quelques minutes avec lui pour percevoir qu’on avait affaire à un maître à penser d’une intelligence et d’une humanité exceptionnelles. Il accueillait ce qu’on lui disait et répondait en aidant à aller plus loin. Depuis la première fois où, étudiant, je suis allé le voir pour lui parler d’une thèse que je préparais sur Pascal, jusqu’à ma dernière rencontre avec lui à Toulouse où l’Institut Catholique lui remettait un doctorat honoris causa, j’ai eu plusieurs fois l’occasion de bénéficier de son amitié et de sa générosité intellectuelle ; je lui en garde une grande reconnaissance.

Paul Ricœur a eu des liens étroits avec la théologie dans sa vie (en particulier avec la Faculté de Théologie Protestante de Paris à laquelle il a donné sa bibliothèque) et dans sa pensée. Il a abordé des thèmes dont traitent aussi les théologiens : entre autres, la notion de symbole, l’interprétation des textes, la nature du langage, le mal, la culpabilité, le pardon. Il a souvent utilisé des travaux de théologiens, en les reprenant de manière profonde et originale dans sa propre réflexion.

Toutefois, Ricœur n’a jamais accepté qu’on le considère comme un théologien. Bien que chrétien et philosophe, il n’aimait pas beaucoup qu’on le qualifie de philosophe chrétien. Il ne cachait certes pas sa foi qui était vive et engagée. Mais la philosophie a ses argumentations, ses exigences et ses thèmes propres et c’est une réflexion proprement philosophique qu’il menait. À Chicago, Ricœur avait occupé à temps partiel la chaire laissée vacante par la mort de Paul Tillich qu’il admirait (il avait envisagé d’écrire une « Postface à Tillich », pendant de sa « Préface à Bultmann », projet qui n’a malheureusement pas abouti), mais dont il se différenciait parce qu’il refusait de se dire conjointement théologien et philosophe. Il n’a pas voulu mélanger les genres par souci de rigueur et c’est justement ce qui fait la valeur de sa démarche. Il a montré que la théologie pouvait aider la réflexion du philosophe et que la philosophie avait beaucoup à apporter au théologien, sans que d’un côté ou de l’autre on consente pour cela à des compromis. Loin de séparer, la différence permet un dialogue fructueux à condition de ne pas s’ignorer ni se mépriser.

 Quelques semaines avant sa mort, Ricœur a lu mon livre Parler du Christ, et on m’a dit qu’il l’avait apprécié (en particulier le chapitre sur la Croix). À vrai dire, je l’imagine mal dépréciant un livre. Son œuvre témoigne d’un dialogue attentif et bienveillant avec d’autres auteurs et du souci de mettre en valeur ce qu’ils apportent de juste et de vrai. Il lui arrive de les discuter, certes, mais sans les dénigrer ni les réfuter, plutôt en cherchant à articuler et à conjoindre, en les précisant et en les approfondissant, divers points de vue. Il a refusé pas seulement en politique, mais aussi dans sa recherche intellectuelle le totalitarisme qui exclut et la polémique qui veut détruire l’autre, ce qui est aussi une façon d’être chrétien en philosophie.

André Gounelle
Évangile et Liberté, mai 2005

 

 

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André Gounelle

Professeur émérite de la faculté de théologie protestante de Montpellier

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