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Le salut selon Tillich

1. Sauver le salut

1. Un mot devenu obsolète.

Dans un de ses sermons, Tillich souligne, ce que nous savons tous, que les mots "sauveur", "sauver", "salut" reviennent fréquemment et ont une importance centrale d'abord dans le Nouveau Testament, ensuite dans la prédication et la littérature chrétiennes de toutes les époques*. Ces termes font partie du langage ecclésiastique le plus courant, le plus traditionnel, le plus conventionnel. Dans les milieux chrétiens, on s'en est tellement servi qu'ils sont usés jusqu'à la corde. Ils ont fini par ressembler à ces "bonjour", "bonsoir", que l'on échange machinalement sans penser à leur signification, sans leur accorder une valeur bien précise. Vous connaissez l'histoire du monsieur à qui l'acteur Sacha Guitry demandait "comment allez-vous?", et qui lui répond : "pas très bien, j'ai eu un abcès dentaire qui a entraîné une infection; on a dû m'hospitaliser, et à l'hôpital on s'est trompé de médicament ce qui a provoqué une hépatite"; et Sacha Guitry de commenter : "ce n'est pas du tout ce que je lui demandais, je voulais seulement qu'il réponde : "pas mal et vous?". Il avait employé une formule conventionnelle sans penser à sa signification. C'est le sort que connaît souvent le mot "salut" dans le langage ecclésiastique.

Quand on sort des cercles chrétiens, on a l'impression que ce mot n'éveille ni n'évoque rien. Il ne correspond plus à une inquiétude, à une aspiration, à un attente, à un désir ou à une recherche. J'ai fait, il y a quelques années, une expérience qui corrobore ce diagnostic de Tillich. J'enregistrai une interview pour l'émission protestante de télévision. En répondant à une question, j'ai employé le mot "salut". Immédiatement, le réalisateur a arrêté l'enregistrement et m'a dit : "la plupart de téléspectateurs ne comprennent pas ce mot; expliquez le avant de continuer". Ce que j'ai fait en pensant : voilà un mot qui a exprimé une des grandes préoccupations de l'Occident pendant des siècles, qui est un des mots clefs de notre histoire et de notre culture; et voilà qu'aujourd'hui il ne dit plus rien même pour ceux qui regardent une émission protestante, un public qui a quand même des préoccupations religieuses.

2. Le problème.

Tillich se préoccupe beaucoup de cette désuétude et de cette marginalisation qui aboutit à rendre insignifiants les mots religieux, les plus forts, les plus centraux. Il a rencontré très tôt ce problème. jeune pasteur en 1912 dans une paroisse ouvrière de la banlieue de Berlin, puis aumônier militaire durant la guerre 14-18, il découvre que sa prédication, de facture classique, ne touche pas, n'atteint pas les auditeurs à qui elle s'adresse. Elle est tellement éloignée de ce qu'ils vivent, et tellement différente de ce qu'ils éprouvent qu'elle n'a pour eux aucun sens. De même, la plupart des propos que l'on tient dans les Églises ne sont pas faux, mais ils ne sont pas compris. Ils partent en l'air, et retombent en manquant leur cible. Les gens ne perçoivent pas le lien entre les discours qu'on leur tient et les réalités pratiques avec lesquelles ils se trouvent aux prises. La prédication leur paraît déconnectée, sans lien ni rapport avec leurs expériences, leur situation, leur savoir, leurs soucis. Tillich ne redoute ni la métaphysique ni l'ontologie. Il manie volontiers l'abstraction, et il en défend la nécessité contre ceux qui la dénigrent. Pourtant sa motivation première, sa visée dominante relève de la pastorale. Sa réflexion n'a pas pour but de satisfaire des goûts et des besoins purement intellectuels. Une question éminemment pratique la détermine et l'oriente : comment annoncer l'évangile à nos contemporains? Comment s'y prendre pour que le message chrétien ne devienne pas une gnose pour initiés en marge du monde moderne? Ce problème, d'autres théologiens de la première moitié du vingtième siècle se le posent : ainsi Schweitzer qui cherche à opérer une traduction laïque de l'évangile, ainsi Bonhoeffer qui se demande comment parler de Dieu, du Christ et de la foi avec les mots de tous les jours.

            Incontestablement, le vocabulaire chrétien souffre d'un vieillissement et d'une dépréciation. Il a perdu sa capacité d'interpeller, de faire réfléchir et d'émouvoir. A cause des déformations qui résultent d'une longue histoire, il lui arrive de masquer, voire de trahir le message qu'il est censé transmettre. Il ne parle plus guère aux croyants, et plus du tout aux incroyants. Dans ces conditions, que faire? Faut-il l'abandonner pour un autre discours? Devons nous substituer au discours reçu des formulations inédites? Tillich doute qu'une telle entreprise soit possible. En effet, on ne manipule pas comme on veut le langage. Il s'impose à nous et nous résiste. On peut décider de remplacer les pièces d'une voiture et le faire, mais pas les mots. Pour éviter le désuet, on se précipite dans l'artificiel, qui fonctionne encore moins bien. Même usés, les termes classiques conservent une valeur qui rend difficile de les supprimer. Ils gardent la trace et conservent le souvenir de leur sens originel. Des siècles d'usage les ont érodés et limés; mais, en même temps, ils les ont chargés d'expériences, enrichis, et leur ont donné du poids. De plus adopter un nouveau vocabulaire conduirait à nous couper de notre histoire, et surtout à rompre avec la Bible. Si les expressions dont elle se sert nous deviennent étrangères, elle ne nous dira plus rien.

3. La solution.

On voit le problème. D'une part, il faudrait changer de discours, parce que celui dont nous avons l'habitude fonctionne mal. D'autre part, nous ne pouvons pas en changer, parce que cela aurait des conséquences fâcheuses. Dans les deux cas, le message ne passera pas.

Nous trouvons-nous dans une impasse? Tillich pense que non. Il estime qu'il existe une solution : restaurer les termes consacrés, leur infuser de la vie et de la vigueur par un effort de réflexion et d'explication. Contrairement à ce que l'on a parfois prétendu, Tillich ne projette nullement d'inventer un nouveau vocabulaire. Il ne songe pas, par exemple, à remplacer le mot "péché" par le mot "aliénation". Mais pour faire comprendre le sens de la notion biblique de péché, il utilise le concept d'aliénation qui permet de rendre compte partiellement, pas totalement de ce que la Bible appelle "péché". À part quelques rares formules qu'il juge irrécupérables (ainsi, celle de péché originel), Tillich se donne pour objectif de restituer leur impact et leur contenu originels aux termes dont nous avons hérité, en redressant des erreurs d'interprétation, en montrant ce qu'ils veulent vraiment dire, en les mettant en relation avec nos expériences concrètes. Tillich parle de nettoyer les mots anciens, comme on ravale des façades d'immeuble pour leur rendre leur fraîcheur. Souvent il affirme qu'il faut sauver les mots (il aurait même dit une fois : "sauver les mots pour sauver les âmes"). Dans le sermon que j'ai mentionné au début, il déclare :"Qui sait si les mots "sauveur", "salut" peuvent être encore sauvés. Leur sens premier est profond, mais il a été recouvert par la poussière des siècles, et défiguré par trop de répétitions machinales. Essayons de tenter l'impossible"*. Sauver le salut signifie retrouver le sens et la portée d'un mot dont la puissance a faibli, mais dont nous ne pouvons pas nous passer.

2. En quoi consiste le salut?

Pour Tillich, il ne s'agit dont pas de chercher un autre mot pour remplacer celui de salut, mais d'en retrouver le sens. Quand le Nouveau Testament en parle, quand on la prédication chrétienne l'utilise, de quoi s'agit-il exactement? À quoi correspond ce terme, que désigne-t-il?

Pour répondre à cette question, Tillich procède de trois manières différentes qui se complètent, convergent et de rejoignent. Premièrement, surtout dans ses sermons, il se sert de comparaisons, d'analogies qu'il juge éclairantes. Deuxièmement, il définit le salut à partir de son contraire, en se demandant de quoi nous sommes sauvés. Il le fait surtout dans son livre Le courage d'être. Enfin, il recourt à une analyse ontologique qui fait apparaître la structure sous-jacente aux deux approches précédentes. Voyons successivement ces trois démarches.

1. Les images du salut.

Le première, la plus facile, fait appel à des images, on pourrait presque dire à des paraboles, qui mieux que qu'un discours abstrait permettent de saisir ce que l'on veut dire. Tillich en utilise surtout trois, qui ont d'ailleurs une origine biblique.

1. D'abord, celle de la pénurie et de l'approvisionnement. J'ai déjà souligne que pour Tillich, sur ce point d'accord avec Sartre, l'existence humaine se caractérise par le manque, le besoin, la privation. Le temps, les forces, l'intelligence, les possibilités nous sont strictement rationnés. Sans cesse, nous sommes obligés de gérer la rareté, autrement dit de nous limiter, de nous économiser. Notre être est pauvre, chétif, vite épuisé. De plus il est vulnérable et chancelant; à chaque instant il risque de disparaître et de s'anéantir. Le dénuement et la fragilité caractérisent notre existence. Nous vivons sous le signe et la menace de la disette.

Sauver signifie, ici, fournir le nécessaire pour que l'indigence ne nous fasse pas périr. On peut évoquer la manne que reçoivent les israélites dans le désert, l'huile et la farine renouvelées dans le pot de la veuve de Sarepta, ou encore la multiplication des pains. Toutefois, le salut, tel que le christianisme l'a compris n'annule pas les limites inhérentes à la condition humaine. Il supprime le manque, il n'abolit pas la finitude. Le salut ne nous donne pas une abondance sans frontières ni borne; il ne transforme en multimilliardaires les nomades de l'Exode, la veuve de Sarepta, ou la foule que Jésus nourrit. Il ne nous fait pas magiquement échapper aux règles et aux structures propres aux êtres du monde. Il "ne présuppose pas, écrit Tillich*, l'élévation au dessus de la finitude". Il enlève à cette finitude son caractère angoissant et tragique.

2. Tillich affectionne particulièrement une seconde image, celle de la maladie et de la guérison. Il signale qu'étymologiquement, "salut" dérive du latin salvus qui signifie guéri, sain, en bonne santé*. Il rappelle que les récits évangéliques nous présentent Jésus comme un médecin qui s'occupe non pas des bien portants mais des malades, et qui exerce auprès d'eux une activité thérapeutique. Les Églises ont peu insisté sur cet aspect, sans doute parce qu'elles craignaient de favoriser des superstitions. Pourtant la métaphore de la maladie, qu'utilise par exemple Zwingli pour parler du "péché originel", éclaire utilement l'état actuel de l'existence humaine. Elle ne va pas bien, elle se porte mal. Quant au médecin, il nous fournit un excellent symbole pour le sauveur. Le salut consiste à donner la santé à notre existence à la faire passer d'un état défectueux à un état satisfaisant. Dans un sermon, Tillich déclare : "le message capital pour nos contemporains et pour nous-mêmes, c'est la bonne nouvelle qu'une puissance de guérison œuvre dans le monde, et qu'elle se trouve en Christ".

3. On rencontre, un peu moins souvent, chez Tillich une troisième image, celle de l'esclavage et de l'affranchissement. Dans notre monde, toutes sortes de puissances sociales, économiques, psychologiques et autres nous tiennent sous leur emprise. Elles déterminent nos corps, nos esprits et nos activités, que nous le sachions ou non. Elles nous astreignent à de dures contraintes. Elles font de nous des prisonniers et des esclaves. Sauver veut dire ici délivrer de ces pouvoirs illégitimes qui nous asservissent, de ces forces abusives qui nous écrasent. Tillich note que le Nouveau Testament et l'Église ancienne, comme l'a montré Gustav Aulen, ont beaucoup utilisé cette image avec le thème du Christus Victor. Le Christ, proclame-t-on dans le monde antique, a triomphé des puissances démoniaques, astrales et humaines; elles ont perdu leur pouvoir sur les croyants*. Dans une prédication de 1955, Tillich indique que dans notre siècle, cette image prend une nouvelle actualité. Les travaux des psychologues, des sociologues et des politologues en nous faisant voir les puissances qui nous tiennent entre leurs griffes, en font voir la pertinence. Elle est peut-être, dit-il, la mieux adaptée aux gens de notre époque. L'apparition, quelques années plus tard, des théologies de la libération, devait confirmer au moins en partie cette prévision.

2. De quoi sommes-nous sauvés?

La seconde démarche définit le salut en relevant et en répertoriant les négativités auxquelles il s'oppose et qu'il surmonte*. Vous m'avez probablement déjà entendu raconter l'histoire de ce savant professeur de théologie qui se promène, sur les rives d'un fleuve; un homme tombé à l'eau, emporté par le courant lui crie: "sauvez-moi, sauvez-moi". Le théologien s'arrête tout perplexe et répond : "oui, bien sûr, mais qu'entendez-vous exactement par sauver?" Sa réaction est ridicule, parce que la situation de cet homme rend parfaitement clair son appel. Le mot "sauver" prend sens en fonction d'une situation de péril, de perdition. De manière parabolique ou symbolique, les sermons mentionnent le dénuement, la maladie et l'esclavage. Que désignent ces images? Quel manque vient combler le salut? De quoi sommes-nous guéris ou délivrés? Selon Tillich, tous les êtres humains expérimentent l'aliénation existentielle et en souffrent. Elle ne se manifeste cependant pas toujours de la même manière. Selon les époques et les lieux, on la perçoit, on la ressent sous des formes différentes. Trois d'entre elles ont marqué l'histoire et la culture occidentale.

1. La détresse existentielle prend, en premier lieu, le visage de la culpabilité. La pénurie dont souffre l'être humain consiste en un manque d'innocence. Sa maladie, c'est l'impureté ou l'indignité qui résulte de la faute, et que comme Lady Macbeth, il ne peut effacer. Il se sent prisonnier du mal qu'il a fait. À certaines époques de l'histoire, à la fin du Moyen Age, par exemple et au début du seizième siècle, cette détresse se manifeste fortement. La conscience de leurs fautes et la peur du châtiment terrorisaient beaucoup de gens. Quantité d'œuvres d'art, des tableaux, des sculptures, des poèmes expriment leur hantise du jugement dernier et de l'enfer. Ils s'imposaient une vie d'austérité et de renoncements; ils multipliaient les actions charitables et les pratiques pieuses, en espérant qu'elles leur vaudraient l'indulgence divine. Dans cette situation, la Réforme a su annoncer le message évangélique de salut en annonçant le pardon sans condition, en proclamant que le christ ne juge pas, mais justifie, en déclarant que la grâce divine ne sanctionne pas la faute, mais l'efface et la surmonte.

2. La détresse humaine prend une seconde forme, la peur de la mort, l'angoisse du néant qui à toute époque, tenaille la grande majorité des êtres humains. Ils ont conscience du caractère fragile, éphémère et exposé de leur existence. Ils ne peuvent pas tenir ou retenir leur vie; elle coule entre leurs mains, elle se tarit et s'exténue. A chaque instant, elle peut s'en aller, et inéluctablement elle se terminera un jour. De plus, l'accroissement de la pollution, les maladies et les épidémies qui surgissent, les guerres présentes et éventuelles menacent l'humanité dans son ensemble et peuvent en provoquer la fin. Ici, dire que le Christ nous sauve signifie qu'il nous donne la vie éternelle, ressource, guérison et libération à l'égard de la mort. L'évangile de la résurrection nous affirme que nous ne sommes pas destinés au néant, qu'un avenir nous est promis et ouvert.

3. Enfin, le vertige du non-sens ou de l'absurde représente une troisième forme de la détresse humaine. Notre siècle y a été particulièrement sensible, la littérature existentialiste de Kafka à Camus jusqu'à Cioran l'a beaucoup développé. L'effondrement des valeurs traditionnelles, que de nouvelles n'ont pas remplacé met l'être humain devant un vide et un désert. Sa pénurie consiste à ignorer pourquoi il vit. Sa maladie, c'est l'existence qu'il mène, et qu'il juge folle et idiote. Il se sent prisonnier d'un monde déboussolé où les choses et les êtres s'agitent sans rime ni raison. A cette situation, répond le thème évangélique de la lumière. Le christ nous sauve en nous éclairant, en donnant une direction et une orientation à notre vie, en nous ouvrant un chemin. Au centre de la prédication du salut confrontée à cette situation, peut-être faut-il placer le Saint Esprit qui nous rend sensible à une présence en laquelle se trouve le sens dernier de toute vie et de toutes choses.

On pourrait probablement déceler et mentionner d'autres négativités. L'analyse de Tillich ne prétend pas à l'exhaustivité. Elle mentionne les principales, et non toutes les formes de pénurie, de maladie ou d'esclavage que l'on rencontre. Il faut ajouter que la conscience de la culpabilité, l'angoisse de la mort, et la détresse devant l'absurde ont des relations entre elles. Ces trois expériences s'appellent et se combinent mutuellement. Néanmoins, la plupart du temps l'une d'elle domine sur les autres. La prédication chrétienne doit en tenir compte. Si elle annonce la justification gratuite a des gens qui se débattent avec le sentiment de l'absurde, même si elle a raison sur le fond (nous avons tous besoin de pardon), elle risque de ne pas être entendue, voire d'augmenter la détresse, puisqu'elle parle d'une grâce sans raison à des gens qui s'interrogent sur le sens. D'une certaine manière on peut se demander, comme l'a fait Olivier Abel, si la prédication du pardon gratuit n'a pas posé avec acuité le problème du sens. La double prédestination résout peut-être le problème de la culpabilité mais nous confronte avec l'inexplicable et l'incompréhensible.

3. Structure ontologique.

La troisième démarche ne fait que formaliser les deux précédentes, ou plus exactement, elle en dégage la structure. Les analogies et les expériences énumérées jusqu'ici présentent certes une grande diversité, au moins en apparence. Néanmoins, on peut les ordonner et les articuler dans un tableau.

Images

Pénurie
Maladie
Esclavage

Fourniture
Santé
Délivrance

Existentiel(moral)

Faute

Pardon

Existentiel (biologique)

Mort

Vie

Existentiel (spirituel)

Absurde

Sens

Ontologique

Non-être

Etre nouveau

            Ce tableau montre que les images et les expériences mentionnées renvoient toutes à la même structure fondamentale, celle de l'affrontement de l'être et du non être. Là où il y a des êtres, le non être ne se définit pas comme un vide, une absence (le ouk on), mais comme une menace ou un agression (le mh on). Il n'est pas rien, il est une force de destruction, une puissance qui s'efforce d'anéantir. Le terme de non-être indique bien qu'il s'agit d'une négativité, et non d'une simple vacance. Le non-être attaque l'être sur le plan biologique (il prend alors la figure de la mort), sur le plan moral (il s'appelle alors culpabilité), et sur le plan spirituel (dans ce cas, il a le visage de l'absurde). Le non-être représente pour l'être humain à la fois un manque (pénurie de justice, de vie et de sens), une maladie qui menace de la détruire (comme un cancer qui ronge et détruit son être) et un destin qui l'enferme (un esclavage auquel il ne peut échapper par ses propres moyens). Le christ nous sauve parce qu'il apporte l'être nouveau qui domine, surmonte et dompte le non-être au lieu d'être emporté et anéanti par lui. Le salut consiste en la victoire de l'être nouveau sur le non-être, victoire qui s'opère dans la justification, la vie éternelle et la révélation du sens.

3. Qui sauve?

1. Dieu, le sauveur.

A la question : "qui sauve?", les chrétiens répondent : le christ Jésus, et c'est vrai que le Nouveau Testament le nomme sauveur. Tillich exprime néanmoins quelques réticences et réserves devant cette affirmation. Certes, elle n'est pas fausse, mais elle manque de précision, elle prête à malentendu. "Quand nous appelons [Jésus] le Sauveur, déclare Tillich, nous devons nous rappeler que c'est Dieu qui est le sauveur par son moyen"*.

Tillich voit avant tout dans le salut une oeuvre et un acte de Dieu. A strictement parler, nous devrions lui réserver l'appellation de "sauveur". Bien entendu, Dieu agit et opère en Jésus le christ et nous sauve par son moyen. Mais en disant simplement "Jésus sauve", on court le danger d'en faire un tertium quid, un troisième acteur* entre Dieu et l'être humain, de lui conférer une certaine autonomie, et de masquer ou d'oublier qu'il est l'envoyé de Dieu, l'acte de Dieu, et non pas une réalité indépendante. "Le médiateur..., écrit Tillich, n'est pas sauveur de sa propre initiative, mais par une destination qui lui vient de Dieu. Toute activité médiatrice et salvatrice vient de Dieu... Dieu est le sujet, non l'objet de la médiation et du salut...La réconciliation est une oeuvre de Dieu et de Dieu seul"*.

Ces lignes comportent une double polémique : contre Pélage et contre Anselme.

2. Contre la thèse du salut payé par l'homme.

Tillich s'oppose d'abord aux thèses de type pélagien ou semi-pélagien. Selon ces thèses, le salut trouverait son origine et sa cause, complètement (pour Pélage), partiellement (pour les semi-pélagiens) dans l'être humain. Par nos actes, et nos oeuvres, nous nous rendrions Dieu agréable. Notre comportement changerait ses dispositions à notre égard, en apaisant sa colère, en l'incitant à nous accorder des circonstances atténuantes. Quand nous faisons un effort pour acquérir le salut, il nous récompense en faisant le reste. Comme le dit le proverbe très semi-pélagien : "aide-toi et le ciel t'aidera".

Très luthérien sur ce point, Tillich affirme dans sa radicalité le sola gratia de la Réforme. Le salut vient exclusivement de Dieu, l'être humain ne fait que le recevoir. Il n'en est pas, si peu que ce soit, l'auteur. "Ceux qui sont dans les chaînes, écrit Tillich, ne peuvent pas se libérer eux-mêmes. les malades ne peuvent pas se soigner eux-mêmes. Toute libération, toute guérison provient d'un au delà"*; et ailleurs : "la justification est un acte de Dieu qui ne dépend de l'homme d'aucune manière, un acte par lequel Dieu accepte celui qui est inacceptable"*. La justification par grâce signifie que Dieu nous accepte bien que nous soyons inacceptables. Il ne nous demande pas de nous rendre, même un tout petit peu, acceptables, ou moins inacceptables pour bénéficier ensuite de ses dons. Il nous accepte tels que nous sommes.

3. Contre la thèse du salut payé par Dieu

Le propos de Tillich comporte une seconde polémique. Il rejette une argumentation classique et courante. Elle a son origine dans le Cur Deus homo? d'Anselme de Cantorbery (onzième siècle). Les catéchismes et les prédications la reprennent fréquemment en lui apportant quantité de variantes. Selon cette argumentation, Jésus nous sauve en agissant sur Dieu, en modifiant ses sentiments et ses attitudes à notre égard. En offrant par sa mort sur la croix une compensation ou une expiation substitutive pour les fautes des hommes, Jésus satisferait aux exigences de la justice divine, ce qui supprimerait la nécessité de punir les coupables. Dans les théories de ce genre, à proprement parler ce n'est pas Dieu qui sauve, mais Jésus. Le sacrifice de sa vie représente le prix qu'il accepte volontairement, de son propre chef de payer à Dieu pour l'obliger à consentir au salut.

 Tillich refuse catégoriquement ce schéma explicatif. Le salut ne veut pas dire que Dieu change, mais qu'il vient à notre secours pour que nous puissions changer. Dieu ne cesse de nous aimer et de nous aider. Il n'a pas besoin qu'on le réconcilie avec nous. Par contre, nous avons besoin, nous, de nous réconcilier avec lui*, et de devenir de nouvelles créatures. Dans la parabole du fils prodigue, le Père ne change pas d'attitude envers son fils; c'est le fils qui change d'attitude. Jésus ne modifie pas Dieu, il transforme notre situation, en nous donnant ce qui nous manque, en guérissant notre maladie existentielle, en nous délivrant de ce qui nous enchaîne. Il agit sur nous, non sur Dieu. Ou plus exactement, il est l'acte que Dieu fait pour nous, en notre faveur, à notre bénéfice. "Dieu, écrit Tillich, est toujours celui qui agit, et le médiateur est celui par qui Dieu agit"; on ne peut utiliser le terme de médiateur que si on a compris cela*.

4. Caractéristiques du salut

Dans cette quatrième partie, je vais compléter les analyses précédentes en relevant quatre autres aspects importants du salut, tel que Tillich le conçoit.

1. L'ampleur du salut.

Le salut a une très grande extension. Il concerne tous les secteurs et toutes les dimensions de l'existence humaine, corporelle, intellectuelle, spirituelle et sociale. Aucune ne reste hors de son champ. On le réduit quand on pense qu'il concerne uniquement l'âme, ou la vie intérieure, et qu'il n'a rien à voir avec le physique, le social ou le politique*. On le mutile lorsque l'on considère, comme le font beaucoup de gens, qu'il se rapporte uniquement ou même principalement à ce qui nous arrive après notre décès*. Certes, il inclut la vie de l'au-delà, et il signifie bien que la tombe ne marque pas pour nous la fin. Il ne s'agit pourtant là que de l'une de ses dimensions parmi d'autres. On a trop tendance à la privilégier et à lui accorder une importance exclusive. "La grâce salvatrice, écrit Tillich, a des degrés et des aspects innombrables" *.

De manière très large, il faut définir le salut comme le passage de l'existence aliénée à l'existence authentique dans n'importe quel domaine. Le salut ne renvoie pas seulement à un au-delà et un avenir. "Il prend place, écrit Tillich, dans le temps et dans l'histoire"*, et ailleurs : "Le messie ne sauve pas des individus en les menant sur un sentier qui les ferait sortir de l'existence historique. Son rôle est de transformer l'existence historique elle-même"*.

2. Universalité du salut.

Le salut est universel. Il englobe tous les êtres et toutes les choses. Il concerne l'ensemble de ce qui existe. Tillich souligne que l'être humain n'est pas une île : il ne forme pas une entité fermée sur elle-même, auto-suffisante, que l'on pourrait dissocier de ce qui l'entoure. Ses relations avec des personnes, des objets et des lieux le constituent. Elles font de lui ce qu'il est. Les gens que j'aime, ceux avec qui je collabore ou voisine, les livres et les oeuvres d'art qui m'ont marqué, les activités que j'ai, les oeuvres que je fais, tout cela fait partie de ma personnalité. On ne peut pas m'en séparer et m'isoler sans attenter à mon être. "Les individus et l'humanité, écrit Tillich* sont tellement dépendant des puissances de l'univers que le salut de l'homme est impensable sans le salut de l'univers et inversement". Le salut d'une personne implique le salut de son monde, et, de proche en proche, celui de l'univers tout entier. Je cite encore : "Dans l'essence de tout individu sont présentes les essences des autres individus, et, indirectement celle de tous les êtres. Celui qui condamne quelqu'un à la mort éternelle se condamne lui-même du même coup, car on ne peut pas dissocier totalement son être de celui des autres"*. Il y a une solidarité de tout ce qui est.

Tillich rejette donc l'idée d'un salut particulier et sélectif, qui distingue, qui choisit les uns et non les autres. Il écrit que la doctrine de la double prédestination a quelque chose de démoniaque pour deux raisons. D'une part, elle laisse entendre que Dieu aimerait les uns plus que les autres; il aurait des préférences, et exclurait certains de son activité salvatrice; elle ne travaillerait pas à "l'accomplissement de toute créature"; le monde serait donc divisé, et par conséquent diabolique, puisque "diable" veut dire le diviseur*. D'autre part, la doctrine de la double prédestination implique que chez quelques-uns, dans des parties ou des composantes de l'univers le non-être triomphe de l'être, le négatif l'emporte sur le positif. Tillich pense que Dieu éprouve de la colère contre ce qui contredit son amour, et qu'il le détruit, mais cette colère n'est pas de la haine; elle vise ce qui s'oppose à l'amour et non celui qui s'y refuse*; celui-là Dieu le convertit et le transforme en détruisant ce qui en lui se refuse à l'amour divin. Cet amour finira par vaincre toutes les résistances; aussi l'idée d'une condamnation éternelle est-elle une contradiction dans les termes, parce qu'elle suppose que quelque chose est plus fort, plus éternel que l'amour de Dieu, que quelque chose le limiterait et le mettrait en échec*.

Le salut est à la fois individuel et global ou il n'est pas. Ou, plus exactement, il ne sera parvenu à son terme, il n'aura atteint sa plénitude que lorsqu'il aura touché l'univers entier. La Bible souligne souvent cette dimension cosmique du salut en parlant d'un nouveau ciel et d'une nouvelle terre, en disant que de Dieu fait toutes choses nouvelles. De même que le péché, l'aliénation affecte l'ensemble de la création, de même la justification s'étend à tout*.

3. Le salut grandit.

Le salut a un caractère progressif. Il ne faut pas en faire un acte ponctuel qui se produirait à un moment précis, et qui, ensuite, serait terminé. Il se présente plutôt comme un processus qui demande du temps, qui chemine, avance, et continue. Tillich aime bien l'image de la guérison, précisément parce qu'on ne se débarrasse pas d'une maladie et qu'on ne retrouve pas la santé d'un coup, mais petit à petit. "Le salut..., écrit-il*, est une puissance de guérison agissant à travers l'être nouveau dans toute l'histoire...A un degré ou à un autre, tous les hommes [y] participent...mais...personne n'est complètement guéri". Autrement dit, le salut opère, agit continuellement en chacun de nous; il se poursuit sans cesse.. Dans un sermon où il évoque les récits de Noël, Tillich déclare que "le salut a la nature d'un enfant", et donc un avenir. Il doit grandir, se développer, affronter les négativités, aller de la crèche à la Résurrection en cheminant sur les routes et dans les villes de Palestine, en passant à travers Gethsémané et le Golgotha. Par rapport au vocabulaire de la théologie protestante classique, ce que Tillich appelle salut comprend la justification, la régénération et la sanctification.

4. Eschatologie.

Tillich fait preuve d'une grande réserve et d'une grande prudence en ce qui concerne l'eschatologie. Il en dit le moins possible. Significativement, la cinquième partie de la Systematic Theology, intitulée L'histoire et le Royaume de Dieu, qui en traite, est de beaucoup la plus courte. Tillich insiste sur la dimension eschatologique de la vie présente, mais se refuse de décrire le Royaume, l'au-delà de l'histoire, pas plus qu'il ne s'étend sur l'au-delà de notre vie. L'eschatologie est pour lui plutôt un horizon de la théologie que l'objet de sa réflexion. Le Royaume est une réalité qu'on indique et qui oriente la vie du chrétien, et non quelque chose que l'on pourrait analyser et se représenter.

Tillich souligne cependant que l'eschatologie chrétienne ne signifie pas la destruction totale, l'anéantissement de ce qui est pour recommencer autre chose, pour créer ex nihilo des êtres totalement différents. On ne pourrait pas parler dans ce cas de salut. L'eschatologie désigne le renouvellement de l'être existant, sa guérison, sa libération. "Le salut, écrit Tillich, ne détruit pas la création. Il transforme la vieille création en création nouvelle"*. Chacun porte en soi un telos que nous confère le Créateur. Ce telos se trouve hors de notre portée dans l'état d'aliénation; nous ne pouvons pas le réaliser, ni nous l'imaginer. L'eschatologie désigne l'état où grâce au salut, ce telos devient pour nous une réalité présente et agissante; autrement dit, l'eschatologie est le but du salut, la fin qu'il vise.

5. Rôle et importance de la notion de salut.

Je termine par une cinquième et dernière partie qui me servira de conclusion. Elle porte sur le rôle et l'importance de la notion de salut. Tillich estime qu'elle joue un rôle décisif à trois niveaux : à celui de la définition de la théologie et de la philosophie, à celui de notre perception de Dieu, à celui de notre compréhension du Christ.

1. Théologie et philosophie.

La préoccupation du salut permet de distinguer la religion ou la foi d'une conception du monde ou d'un savoir. Quand elle est absente, on a une philosophie, quand elle intervient on entre dans la théologie. Le philosophe et le théologien s'interrogent l'un et l'autre sur les structures de l'existence et du monde, ainsi que sur leur sens. Mais la philosophie répond plutôt à un désir de connaissance et de compréhension, alors que le théologien cherche l'authenticité, et donc le salut. Bien entendu, dans la pratique, il n'existe pas de frontières tranchées. On ne rencontre pas de théologien qui n'ait pas aussi un souci de savoir et qui ne soit pas peu ou prou philosophe. A l'inverse, il n'existe pas de philosophe qui se désintéresse de la question d'une vie authentique et qui soit entièrement dépourvu de dimension théologique. Chez tout penseur se combinent une souci existentiel et une volonté cognitive. Néanmoins selon que l'un ou l'autre prédomine, il s'agit plutôt d'un philosophe ou plutôt d'un théologien.

2. Notre compréhension de Dieu.

La notion de salut fournit la clef qui ouvre à la compréhension de Dieu et de son activité. Dieu est sauveur, et il faut prendre cet "est" au sens fort. Le salut ne constitue pas chez Dieu une activité annexe, secondaire, accidentelle. Au contraire, le salut caractérise et définit son être. Il ne faut pas faire de Dieu un "en soi-pour soi", renfermé sur lui-même dans une totale béatitude, contemplant éternellement sa propre gloire et satisfait, voir émerveillé par elle. Le Dieu biblique n'est pas un ab-solu, c'est à dire, selon l'étymologie, un être qui ne vit que par soi et pour soi; je trouve malheureux que certains traducteurs, dont le Père Chapey aient rendu ultimate par absolu, terme qu'évite Tillich. Le Dieu biblique se nomme Emmanuel, le Dieu avec et pour nous. L'épître de Jean écrit que Dieu est amour, ce qui signifie que l'amour est son être, ou que l'être-même est amour*. Nous avons vu que pour Tillich Dieu est le fondement de l'être, et la puissance de l'être. Ces formules qui caractérisent son être et sa vie s'appliquent aussi bien à la création qu'au salut. On peut à peine distinguer ces deux activités : la genèse décrit la création comme l'action de Dieu qui sauve du tohu-bohu ou du chaos initial, et le Nouveau Testament décrit le salut en terme de nouvelle création. Dans les deux cas, Dieu surmonte et domine le non être, autrement dit, il aime, car l'amour consiste à surmonter le non-être qui sépare, divise et oppose. Cette affirmation que Dieu surmonte et domine le non-être rend compte à la fois et en même temps de ce qu'il est et de ce qu'il fait. Pour Dieu, être, vivre, aimer, créer et sauver se confondent.

3. Le Christ.

Enfin, la notion de salut détermine celle de Christ, lui confère son contenu et sa signification. Un être nouveau qui mènerait une vie exempte de toute aliénation, qui vivrait en pleine communion avec Dieu, qui incarnerait l'homme parfait ou essentiel ne serait cependant pas le christ, s'il ne sauvait personne. Le christ implique l'Église parce qu'il est puissance de salut, et que cette puissance n'existe que si elle agit sur des gens, si elle les rassemble, si elle les transforme. Aussi Tillich peut-il dire que "l'être du Christ est son oeuvre et..son oeuvre est son être, c'est à dire l'être nouveau"*. Au début du cours sur Jésus, j'ai dit qu'on ne pouvait pas séparer christologie et sotériologie : quand on parle du Christ, on ne fait rien d'autre que parler du salut.

Sur ces trois points, Tillich se trouve très proche de la tradition luthérienne d'une part, de la théologie existentialiste d'autre part.

André Gounelle

Notes :

* L'Eternel Maintenant, p.131

* L'Eternel Maintenant, p.132.

* Systematic Theology, 1, p.254; 3, p.411. Les fondations sont ébranlées, p.234.

* L'Eternel Maintenant, p.133;  Systematic Theology  1, p.146; 2, p.166; 3, p.277, 280; The Protestant Era, p.61; Theology of Culture, p.119 (tr.p.190); L'Etre nouveau, p.41-42, 66, 70.

* Systematic Theology, 2, p.171-172.

* Systematic Theology, 2, p.165.

* L'Eternel Maintenant, p.136

* Systematic Theology, 2, p.93, 169

* Systematic Theology, 2, p.93, 174

* L'Eternel Maintenant, p.135

* Systematic Theology, 2, p.210.

* Systematic Theology, 2, p.169-170.

* Systematic Theology, 2, p.170; cf. p.174.

* L'Eternel Maintenant, p.140-141. cf. The Protestant Era, p.167.

* L'Eternel Maintenant, p.134

* L'Eternel Maintenant, p.135.

* Systematic Theology, 1, p.146.

* Systematic Theology, 2, p.88.

* Systematic Theology, 2, p.95.

* Systematic Theology, 3, p.408-409. cf. L'Eternel Maintenant, p.142.

* Systematic Theology, 1, p.280-281.

* Love, Power and Justice, p.71, Systematic Theology, 1, p.283-284. Being and Love, p.338.

* Systematic Theology, 1, p.284-285; 3, p.408..

* Apocalypse 21, 1-5. 2 Cor.5, 17. Romains 8.

* Systematic Theology, 2, p.167.

* L'Etre nouveau, p.38.

* Systematic Theology, 1, p.279, 280, 281. Being and Love,  p.334.

* Systematic Theology, 2, p.168

 

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André Gounelle

Professeur émérite de la faculté de théologie protestante de Montpellier

Webmaster : Marc Pernot