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Humble et utile, la théologie

 

La théologie n'a pas bonne réputation. Les hommes politiques et les journalistes qualifient volontiers de "théologiques" des discussions confuses, abstraites, sans effets pratiques, réservées à des initiés, qui cultivent des préjugés et des certitudes indémontrables. Dans les Églises, beaucoup de fidèles la trouvent poussiéreuse, ennuyeuse, exagérément compliquée; ils la redoutent et la fuient. Ces réactions sont très injustes. Ceux qui pratiquent la théologie découvrent vite que si elle n'est pas toujours facile, elle est souvent moderne, vivante et qu'elle parle de ce qui nous concerne et nous intéresse au premier chef : le sens de notre existence.

Qu'est-ce que la théologie ?

Le terme théologie vient de la combinaison de deux mots grecs : "théos" qui veut dire Dieu; "logos" qui signifie parole ou pensée. La théologie est donc parole ou réflexion sur Dieu. Elle s'interroge sur notre relation avec Dieu, sur ce qu'il signifie et représente pour nous. La théologie chrétienne cherche la réponse à ses interrogations dans l'évangile, autrement dit dans la révélation du Christ en tant que sauveur.

Tout croyant, qu'il en ait conscience ou non, fait de la théologie. Comment pourrait-il, en effet, ne pas chercher à comprendre et à exprimer sa foi ? À côté de théologies toutes simples et élémentaires (ce qui ne veut pas dire superficielles ou sottes), existent des théologies savantes, développées par des spécialistes, qui font appel à toutes les ressources de l'érudition et de l'intelligence humaines. Il faut reconnaître qu'elles sont parfois compliquées (mais pas plus que ne le sont la philosophie, la psychologie, la physique ou la chimie de notre époque). Elles répondent à la volonté d'aimer Dieu non seulement de tout notre cœur, mais aussi, comme le demande le commandement, de toute notre pensée.

Les fonctions de la théologie

Classiquement, les Églises chrétiennes considèrent que la théologie leur rend, et rend aux fidèles, trois services.

D'abord, elle expose et précise la doctrine chrétienne. Ainsi, elle étudie l'Ancien et le Nouveau Testament pour en dégager les principaux thèmes et pour en faire voir les enseignements. Une étude informée des Écritures apporte beaucoup à la foi; elle l'aide, la nourrit et la clarifie.

Ensuite, elle explique et applique la doctrine. Il ne suffit pas de savoir ce que la Bible dit, il faut encore le comprendre. De plus, la théologie s'interroge sur la signification actuelle de son message : que veut-il dire et qu'implique-t-il pour nous et pour le monde d'aujourd'hui ? Dans ce travail de réflexion, le théologien utilise l'apport de ses devanciers (de la grande "nuée des témoins" à travers les âges); l'histoire aide toujours à bien percevoir le présent.

Enfin, la théologie se préoccupe de que dit et prêche l'Église. Elle vérifie le bien fondé de ses enseignements et déclarations, en les confrontant à l'écriture. Elle a ici une tâche de vigilance critique, et s'inquiète de la fidélité de l'Église à l'évangile.

 Ainsi, dans l'Église, la théologie remplit une fonction enseignante : elle instruit, elle cherche à développer notre compréhension de Dieu et de la vie croyante, elle invite à la réflexion sur ce que nous sommes et sur ce que Dieu nous appelle à l'être.

La théologie aujourd'hui

À ces tâches classiques, s'en ajoutent aujourd'hui de nouvelles. J'en mentionne deux.

1. Les grandes doctrines classiques dépendent étroitement dans leur formulation du vocabulaire et des idées d'une époque. Ainsi les premiers conciles ont exprimé la foi chrétienne en se servant des catégories de la pensée grecque. Ils ont eu raison de le faire; ils ont, en général, très bien travaillé et abouti à des résultats remarquables. Mais leurs formules appartiennent à un autre temps et ne nous parlent pas. Quand nous les répétons, nous les comprenons mal et utilisons une sorte de langue de bois. La théologie doit donc opérer un travail de traduction pour exprimer dans notre langage les vérités chrétiennes.

2. La théologie se doit de montrer l'actualité et la pertinence de la foi. Souvent les intellectuels ont tendance à croire que la foi est l'affaire de gens simples, ignorants, qui n'ont pas suivi les évolutions du monde et qui restent attachés à des conceptions d'un autre âge. En mettant en relation la foi avec la science et la réflexion humaines contemporaines, la théologie fait apparaître la solidité et la profondeur intellectuelles du christianisme (comme l'ont fait face aux philosophes du monde gréco-latin les apologètes des premiers siècles de notre ère). De cette manière, elle rend témoignage et annonce le Christ. Souvent, on oublie la mission évangélisatrice que remplit aujourd'hui fréquemment la théologie.

Utilité de la théologie

Deux dangers menacent la foi chrétienne et sa compréhension.

1. D'abord, celui du doctrinarisme qui absolutise et répète des doctrines théologiques figées. Quand la théologie y succombe, elle devient anachronique, autoritaire et intolérante; elle impose ses formules, elle ferme et entrave la pensée au lieu d'inviter à une recherche et une réflexion.

2. Ensuite, celui d'une foi irréfléchie, qui rejette tout effort de compréhension et de savoir. Elle estime qu'il suffit de croire et qu'il n'est pas besoin de penser. Elle favorise alors une religion obscurantiste et une crédulité superstitieuse qui n'examinent rien et qui acceptent n'importe quoi.

Entre ces deux écueils, le rôle de la théologie consiste à chercher et à ouvrir la voie pour une foi intelligente et une intelligence croyante.

Pour une théologie humble

Afin de remplir aussi convenablement que possible cette tâche, la théologie doit renoncer à tout orgueil, et se montrer humble et utile. Humble, en n'imposant pas des formules définitives, en ne prétendant pas enseigner des vérités absolues. Utile, en proposant des hypothèses qui aident à comprendre l'évangile et à réfléchir sur la foi chrétienne. Entre la foi et les doctrines qui l'expriment, elle établit une différence et un lien. La foi ne se confond pas avec un ensemble de doctrines; elle est rencontre et relation vivantes avec le Dieu de Jésus Christ. La doctrine résulte d'un effort de la pensée pour exprimer ce que l'on croit et expliquer ce que l'on vit dans la foi.

Je comparerais volontiers les doctrines ou les formulations théologiques à des cartes de géographie. On ne connaît pas vraiment une région quand on en a seulement étudié la carte; il faut encore la visiter. On ne doit pas confondre un pays avec la carte qui le représente; il n'existe pas de cartes parfaites, toutes ont des défauts (ne fut-ce que parce qu'elles représentent une sphère sur une surface plane). Il n'en demeure pas moins que la carte donne des indications utiles; elle aide à s'orienter, elle facilite la visite quand elle est bien faite; si elle est mauvaise, au contraire, elle égare. Il en va de même pour les doctrines théologiques : il ne faut pas les diviniser; elles sont un effort humain pour parler de Dieu de manière authentique, mais elles n'arrivent jamais à la perfection ou à la vérité absolue; sans cesse il faut les corriger, les améliorer et les compléter. Elles tentent de comprendre une réalité qui les dépasse, d'en donner une image qui puisse nous guider, nous éviter de nous perdre; elle ne sont pas la foi, mais un instrument au service de la foi.

André Gounelle
Le Cep, juin 1992

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André Gounelle

Professeur émérite de la faculté de théologie protestante de Montpellier

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