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Confession de foi

 

Pour éclairer cette expression typiquement ecclésiastique, je procéderai en trois temps. Dans un premier temps, j’esquisserai une définition de l’expression « confession de foi ». Une deuxième partie distinguera les quatre principaux types de confession de foi que j’ai repérés (il en existe peut-être d’autres, mon relevé ne prétend pas être exhaustif). Je terminerai, ce sera ma troisième partie, par les problèmes qui ont opposé protestants orthodoxes et libéraux aux 19 et 20ème siècles à propos des confessions de foi.

 

1. Définition

Qu’entend-on, que désigne-t-on exactement par « confession de foi » ? Pour répondre à cette question, je vous propose d’examiner successivement les deux termes de cette expression, à savoir « confession » et « foi ».

1. Confession

D’abord, « confession ». Ce mot vient très probablement (une autre étymologie, cum fateor, est possible) du verbe latin confiteri. Confiteri appartient initialement au vocabulaire juridique. Il signifie : premièrement, reconnaître ou décliner son identité devant un tribunal, dire aux juges qui on est, son nom, son âge, son statut social ; deuxièmement, raconter aux magistrats ce qu’on a fait, rendre compte de ses actions. Il ne s'agit pas de rapporter ce à quoi on a assisté (comme le témoin au sens moderne du mot), mais de dire comment on a agi, comment on s’est comporté. On ne parle pas d’un autre ou d’autre chose, mais bien de soi-même. La confession est une parole qui dévoile, révèle celui qui parle. Le terme a vite débordé du domaine juridique pour s’appliquer à tout « récit de soi », c’est à dire à tout récit où on raconte ce qu’on est, ce qu’on sent et ce qu’on vit ; on a un exemple célèbre de ce sens élargi avec les Confessions de Jean-Jacques Rousseau.

Les chrétiens ont très tôt appelé « confesseurs » ceux qui déclaraient, parfois au prix de leur vie, leur foi en l’évangile devant les autorités de l'Empire romain ou devant la foule. Cette déclaration avait évidemment une forte intensité, car elle avait des conséquences redoutables. Celui qui la prononçait s’engageait, se compromettait et s’exposait à des sanctions et des condamnations. Par la suite, le terme de confession a été étendu à toute déclaration, proclamation ou explication publique de la foi, même quand elle ne comporte plus aucun risque.

2. Foi

Voyons maintenant le mot « foi ». Classiquement, on distingue la fides qua creditur et la fides quae creditur. Fides qua creditur signifiela foi par laquelle on croit et désigne l’acte de croire, la foi en tant qu’attitude ou sentiment du sujet croyant. Fides quae creditur signifie la foi que l'on croit, autrement dit les croyances, ce qui est cru, l’objet de la foi. Dans le christianisme classique, il ne s’agit pas de deux fois différentes, mais des deux aspects constitutifs et complémentaires d’une seule et même foi : toute foi a un sujet, quelqu’un qui croit, et un objet quelque chose en qui on croit, qui est cru. Pourtant, une dissociation des deux aspects paraît envisageable. Dans la première édition, 1536, de l’Institution Chrétienne, Calvin explique qu’il ne faut pas confondre « croire que Dieu existe » et « croire en Dieu ». « Croire que Dieu existe » est une opinion, une croyance et relève de la fides quae ; « croire en Dieu » veut dire « vivre en fonction de Dieu » et relève de la fides qua. On peut croire que Dieu existe sans croire en Dieu, sans vivre en fonction de lui ; on a alors une fides quae dépourvue de fides qua (une croyance sans vie de foi). Par contre, à l’inverse, on a longtemps jugé impossible de croire en Dieu sans croire qu’il existe. Aujourd’hui, on en est moins sûr. Ainsi, dans Le Courage d’être (1952), Tillich parle d’une foi absolue, d’une foi qui subsiste après la disparition de Dieu, d’une foi qui a perdu son objet qui n’est que pur « courage d’être » ou pure volonté de vivre ; elle est une fides qua sans contenu, sans fides quae ; cependant cette foi absolue n’est pour Tillich qu’un moment, fondamental certes, et toujours présent dans la vie croyante, mais qui est sans cesse à dépasser, à surmonter. On ne peut pas s’en tenir ou en rester à la foi absolue ; elle est le point de départ de la recherche et de la découverte de ce que Tillich appelle le Dieu au dessus de Dieu, ou, je cite les dernières mots de son livre, du « Dieu qui apparaît quand Dieu a disparu ». À la différence de Tillich, certains théologiens de la mort de Dieu estiment non seulement possible, mais aussi nécessaire de vivre une foi sans objet, en quelque sorte de croire en Dieu sans croire que Dieu existe, ce que suggère le titre paradoxal, apparemment illogique et contradictoire, du livre de Klaas Hendrycke : Croire en un Dieu qui n’existe pas (2007-2011)

Je n’entre pas plus avant dans la problématique complexe, difficile de la possibilité d’une fides qua sans fides quae. Je note simplement ici que dans l’expression « confession de foi », foi peut désigner aussi bien la fides qua, l’acte de croire, que la fides quae, un contenu ou un objet. Si pour la majorité des croyants et des théologiens, il n’y a pas contradiction mais complémentarité entre les deux, il n’en demeure pas moins que selon l’aspect qu’on privilégie, on aboutira à des expressions très différentes de la foi.

 

2. Les différents types de confession

Après cette première approche, je passe à ma deuxième partie qui va répertorier quatre types de confessions de foi que j’ai appelés le premier doxologique, le deuxième doctrinal, le troisième polémique et le quatrième essentialiste.

Je précise que ces différents types ne s’excluent pas et qu’il n’y a pas entre eux de frontières étanches ; s’ils sont logiquement différents, dans les faits, le plus souvent, ils s’interpénètrent, se recoupent ou se recouvrent, s’associent ou se combinent. Dans la plupart des cas, les textes que nous appelons « confession de foi » relèvent de plusieurs types, mais en général un des types domine. Les distinguer permet d’une part de mieux cerner les problèmes que posent les confessions de foi, ils ne sont pas les mêmes selon les cas, et, d’autre part, de clarifier leurs visées ou leur fonctions : pourquoi écrit-on des confessions de foi, dans quel but et pour quel usage ?

1. Le type doxologique

Je commence par les confessions de foi de type doxologique. Elles expriment l’élan du fidèle qui répond à la manifestation de l’amour et de la grâce de Dieu par une parole ou un cri de confiance, de louange et de consécration. Elles relèvent principalement de la fides qua et peuvent être très brèves et très simples. Ainsi dans Jean 20,16, quand Marie Madeleine reconnaît, au matin de Pâques, le ressuscité, elle dit simplement « Rabbouni », maître, et cela suffit. Les « amen » et « alléluia », plus ou moins bruyants et désordonnés, plutôt agaçants pour nos oreilles réformées, dont certains évangelicals entrecoupent volontiers leurs célébrations, s’inscrivent dans la même ligne.

En France, après la deuxième guerre mondiale, et encore fréquemment aujourd’hui, dans les cultes de tradition ou de facture réformée, des confessions de foi à vocation ou à dominante doxologique interviennent à trois moments.

D’abord, tout au début, avec une parole de louange, souvent extraite d’un psaume, qui vient juste après la salutation et l’invocation. Cette parole a été introduite, il y a une soixantaine d’années, dans nos liturgies pour éviter de commencer, comme auparavant, par la loi et pour souligner que se placer devant Dieu est une joie avant d’être une exigence.

Ensuite, on lit ou on dit habituellement une confession de foi dans le déroulement du culte soit après les paroles de pardon et de grâce soit à la suite de la prédication. Cet emplacement appellerait normalement une confession de type doxologique. L’évangile, la bonne nouvelle du salut de Dieu, ayant été annoncé, les croyants, par la bouche de l'officiant, déclarent recevoir, accepter le don de Dieu et en tirer les conséquences pour leur vie. Malheureusement, on a pris l’habitude de prononcer à ce moment-là des confessions de foi de type plus doctrinal que doxologique, ce qui est dommage et nuit au mouvement même de la liturgie. Il me semble cependant que c’est moins le cas aujourd’hui, ce qui, à mon sens est une bonne chose.

En troisième lieu, dans le culte reformé, la confession de foi ne se fait pas seulement par le moyen de paroles, dites ou chantées, mais aussi par le moyen d’un geste, d’un geste très précis, celui de se lever de son banc pour aller prendre de la cène. Pour ceux des réformés qui se situent dans l’héritage théologique de Zwingli, le pain et le vin de la Cène n’ont pas pour fonction de nous apporter ou de nous faire percevoir la réalité du Christ. Le Christ vient dans notre vie par la prédication, et c’est le Saint Esprit agissant en nous qui nous met en communion avec lui. La Cène n’est pas porteuse ou véhicule de sa présence, elle exprime notre réponse à sa présence ; en y participant nous confessons publiquement, au regard de tous, que nous avons reçu et acceptons l’évangile. C’est pour cela, et seulement pour cela que nous la prenons ; nous n’en avons pas besoin pour rencontrer le Christ ou pour être plus proche de lui ; elle nous permet de faire savoir aux autres que nous l’avons rencontré. Aussi le réformateur de Bâle, Œcolampade a-t-il pu écrire : « on ne prend pas la Cène pour soi, mais pour les autres ». Pour les zwingliens, la Cène est une confession non doctrinale de la foi. Calvin est venu brouiller et compliquer cette compréhension de la cène, et je regrette qu’elle ait été négligée et oubliée.

2. Le type doctrinal

Je passe au deuxième type des confessions de foi, celles que j’ai qualifiées de « doctrinales ». Si le premier type privilégie la fides qua, ici l’accent porte sur la fides quae Il s'agit ici de dire ce que l'on croit, de formuler les croyances que l'on tient pour fondamentales, et plus particulièrement, pour les Églises, d’indiquer ce qu’elles enseignent.

Ces confessions de foi apparaissent le plus souvent en des époques de troubles religieux, au cours de discussions souvent âpres sur la manière de comprendre le message biblique, au moment de luttes dans les Églises entre des gens qui ne sont pas d'accord sur l'interprétation de l'évangile. On en a rédigé de nombreuses aux quatrième et cinquième siècles où ont lieu de grandes controverses sur la trinité et sur les deux natures du Christ. Des conciles comme ceux de Nicée-Constantinople ou de Chalcédoine adoptent des formules qu'il faut accepter pour n'être pas excommunié, c'est à dire expulsé de l'Église.

Au seizième siècle, période de grands affrontements religieux, les confessions de foi se multiplient. En 1530, la diète d’Augsbourg entraîne la rédaction de l’Augustana par Melanchthon, de la Fidei ratio par Zwingli et de la Tétrapolitaine par Bucer. Dans les années qui suivent viendront les écrits symboliques luthériens (1531-1537) et, du côté réformé, la Confession de La Rochelle (1559-1571), le Catéchisme de Heidelberg (1563), la Confession helvétique postérieure (1566), pour s’en tenir aux textes les plus connus, ainsi que, du côté anglican, les XXXIX articles (1571). Du côté catholique, le Concile de Trente adopte en 1564 ce qu’il appelle une « profession de foi ». On pourrait facilement allonger cette liste. Ces différents textes indiquent les principes essentiels et les doctrines caractéristiques de chaque courant (qu'on appelle, à cause de cela, des « confessions »).

Une « confession de foi » est, ici, un résumé doctrinal qui énonce ce que tel ou tel groupe tient pour vrai, ce qu'il pense être le cœur ou le noyau de la foi (au sens de fides quae) chrétienne, ce qu’il prêche et enseigne. Elle s’adresse à deux publics différents. D’abord, à ceux de l’extérieur, en particulier au seizième siècle aux autorités ; on veut leur faire savoir qui on est et ce qu’on croit pour obtenir sinon une adhésion, du moins une reconnaissance. Ensuite, aux membres du groupe pour vérifier ou clarifier leur accord et assurer leur communion. La confession de foi a une visée interne et externe, ce qui signifie qu’il n’existe pas un enseignement ésotérique qui différerait de l’exotérique : on dit exactement la même chose quand on est entre nous et quand on adresse aux autres.

En théorie, rien n'empêche qu'un seul et même texte soit à la fois doxologique et doctrinal et serve à confesser la fides qua aussi bien que la fides quae. Dans la pratique, on constate que le jumelage ne va pas sans difficulté. Une bonne définition doctrinale ne convient en général pas pour un culte ou pour la louange parce que trop lourde, trop longue, trop subtile. À l'inverse au cours d'un culte, personnel ou public, la foi peut s'exprimer de manière moins complète, précise et rigoureuse, mais avec plus d'élan, d'enthousiasme, voire de poésie. Quand on s'adresse à Dieu, il n'est pas besoin de définir exactement l'évangile ; il le connaît mieux que nous. Par contre quand on s'adresse au public, il importe de le caractériser clairement, et des paroles de louanges risquent d'être mal comprises par ceux qui sont extérieurs à la foi. Il semble donc préférable de dissocier ces deux types de textes.

3. Le type polémique

J’en arrive au troisième type de confession de foi, celui que j’ai qualifié de polémique. On pourrait y voir une variante du type doctrinal, mais l’importance qu’il a revêtue au vingtième siècle, avec la lutte contre le nazisme et le synode de Barmen en 1934, justifie qu’on le traite à part, qu’on le considère comme un type distinct. C’est ce que font, chacun de son côté, Paul Tillich et Karl Barth.

Tillich souligne que dans l’histoire du christianisme les confessions de foi ecclésiales ont assuré une fonction de défense contre des thèses ou des mouvements qui tendaient à détruire la foi évangélique ; elles l’ont protégée contre des agressions. Elles ne répondent pas tant à un désir de connaissance, à une recherche intellectuelle, au désir de formuler ses croyances, qu’à la nécessité de combattre de dangereux adversaires. Aussi, ce qu’il y a de plus important dans une confession de foi n’est pas ce qu’elle affirme, mais ce qu’elle nie ou rejette. Les crédos signalent et dénoncent des erreurs plus qu’ils ne formulent des vérités. Ils subissent un détournement et une déformation démoniaques quand on s’en sert pour prescrire aux fidèles des croyances, quand on les utilise pour leur imposer une orthodoxie doctrinale éloignée de leurs convictions personnelles et contraire à l’honnêteté intellectuelle. Les confessions de foi sont là pour libérer de fausses idées, mais elle doivent laisser libres, ne pas constituer un joug.

Dans le tome 5 (édition française) de sa Dogmatique, Barth va dans le même sens. Il souligne que l’Église n’a pas à prendre l’initiative de promulguer une confession de foi. Elle ne doit le faire que si elle y est contrainte par des événements extérieurs « Qu’elle ne se force pas à être confessante » écrit-il (Église, p.168). Barth se sépare nettement de l'opinion orthodoxe courante selon laquelle une Église doit normalement avoir une confession de foi et se fonder sur elle. Pour lui, la confession de foi, en tout cas « au sens strict », est liée à une situation exceptionnelle. Elle ne se formule pas n'importe quand ni n'importe où. Elle naît d’un péril ou d’une détresse. Ce qui signifie qu’elle n’est jamais universelle. Elle s’inscrit dans un temps, un lieu et un contexte déterminés. Contrairement à une formule bien connue de Vincent de Lerins, elle ne vaut pas partout, toujours et pour tous. Elle ne doit pas, non plus chercher à tout dire ; elle n'a pas à être, je cite Barth, « une somme théologique en miniature ». Elle n’est pas un résumé de l'essentiel de la doctrine chrétienne, mais une affirmation militante sur un ou plusieurs points précis. Ce qui entraîne deux conséquences. D’abord, elle se présente toujours comme une réaction. Elle surgit après l'erreur et l'attaque. En ce sens, écrit Barth, elle « arrive toujours trop tard », c'est-à-dire quand le mal est déjà fait. Elle ne prévient pas, elle remédie. Ensuite, une confession de foi implique nécessairement des anathèmes, des rejets souvent aussi importants et décisifs que ses affirmations. Elle ne doit pas craindre de condamner explicitement non pas des personnes (aux personnes, il faut annoncer la grâce et le pardon), mais des doctrines. On ne dit vraiment ce que l'on croit que lorsqu'on désigne explicitement ce que l'on rejette. Par nature, une confession de foi est exclusive ; elle dénonce l’inadmissible et l’inacceptable.

4. Le type à visée essentialiste

Voyons maintenant le quatrième et dernier type. Je l’ai nommé « essentialiste » parce qu’il est en étroite relation avec la problématique dite de l’essence du christianisme.

Cette problématique émerge au début du 19ème siècle et traduit la transformation qu’introduit en Europe la modernité (telle qu’elle se développe à partir du dix-huitième siècle). Auparavant, pour la plupart des européens, le christianisme semblait aller de soi, comme le climat où on vit ou l’atmosphère qu’on respire. On ne se demandait guère ce qu’il était ; en général, on pensait le savoir et il n’y avait pas lieu de beaucoup s’en préoccuper. Avec la sécularisation qui s’amorce, voilà que le christianisme devient une option facultative et un objet qu’on peut considérer du dehors. Il importe désormais de le décrire le plus exactement possible pour pouvoir l’expliquer, le comprendre et l’évaluer. C’est ce qu’essaient de faire au début du 19ème siècle le théologien protestant Schleiermacher et le philosophe, également protestant, Hegel.

Cette essence du christianisme, des penseurs tels que Feuerbach, Marx ou Freud entreprennent de la dégager par une démarche qu’ils veulent rationnelle, analytique, scientifique et nullement religieuse. Pour eux, la foi évangélique est le produit de facteurs et de mécanismes psychologiques ou sociologiques ; elle n’a pas sa vérité en elle-même ; pour la comprendre, il faut l’observer et l’étudier du dehors. Leur tentative ne relève pas d’une confession de foi, mais d’une réflexion anthropologique, autrement dit d’une philosophie de l’être humain.

À l’inverse, d’autres, tels le libéral Harnack en 1900 et l’existentialiste Ebeling en 1959, cherchent à déterminer le cœur, le centre ou l’essence de la foi chrétienne par un approfondissement du message et de la foi évangéliques. Là nous sommes dans un processus de confession qui tente de dire aux croyants et aux non croyants ce qu’est la foi, ce dont on ne peut pas se dispenser dans une monde sécularisé. Il me semble qu’aujourd’hui nous sommes tous plus ou moins engagés dans cette recherche, qu’elle s’impose à nous. Dans le contexte où nous vivons, nous ne cessons de nous interroger sur le sens de l’évangile et plus précisément ce qu’il signifie pour nous. J’ai le sentiment que la constitution de l’Église Protestant Unie n’a pas fait naître, mais qu’elle relance cette interrogation.

À la suite de la parution en 1900 de L’essence du christianisme d’Harnack, livre qui a eu un retentissement considérable et qui reste un des grands classiques de la théologie protestante, un grand théologien libéral trop méconnu en France, Ernst Trœltsch publie en 1903 un article remarquable où il montre que toute tentative pour définir l'essence du christianisme ne peut aboutir qu'à un résultat aléatoire, défectueux, provisoire et subjectif. En effet, d'une part, le christianisme évolue, change, se transforme. Il est non pas une maison achevée, mais une route sur laquelle on marche ; on ne le trouve pas tout entier dans la prédication de Jésus, dans le Nouveau Testament, ou dans les premiers siècles de l’Église. Il se développe, se transforme, prend des formes nouvelles et différentes. Ce ne sera qu'au bout du chemin, à la fin des temps qu'on pourra, peut-être, le décrire ou le définir de manière satisfaisante. D'autre part, nous nous situons à un moment précis de l'histoire, et toutes nos définitions dépendent des problèmes que nous nous posons, de ce que nous sommes existentiellement, spirituellement et intellectuellement. Celui qui se trouve ailleurs ou qui vit à une autre époque ou qui a des préoccupations différentes n’a pas la même vision de l’évangile et de ce qui en constitue l'essence. Nous n'échappons pas à la relativité, même quand nous tentons de cerner l'absolu ou le transcendant. Nous pouvons dire la manière dont Dieu nous touche et dont nous le percevons au aujourd’hui, là où nous vivons, nous ne pouvons pas dire ce que Dieu est en lui-même, ni comment on le percevra demain.

 

3. Les problèmes que posent lesconfessions de foi

Tout au long du 19ème siècle et dans la première moitié du 20ème siècle, a eu lieu dans le protestantisme réformé francophone (suisse et français) un immense débat autour des confessions de foi doctrinales. S’y opposaient, d'un côté, ceux qu'on appelait les « orthodoxes » (ils affirmaient la nécessité pour une Église d'avoir une confession qui définisse aussi précisément que possible ses croyances et enseignements) et, de l'autre côté, ceux qu'on qualifiait de « libéraux » (ils mettaient en cause la légitimité des confessions de foi dans une perspective protestante). La discussion s'est centrée sur deux points.

1. Confession de foi et Bible

Les protestants soulignent beaucoup l'autorité de la seule Écriture à laquelle ils soumettent et subordonnent les textes ecclésiastiques. Alors que le catholicisme classique a tendance à considérer que l'enseignement de la Bible et celui de l'église forment un bloc homogène et indissociable, les réformés les différencient nettement ; l'adjectif sola dans l'expression sola scriptura entend bel et bien nier tout caractère normatif aux textes ecclésiastiques. D'où le problème : en adoptant des confessions de foi, des déclarations de principes, auxquelles on demande ou exige adhésion, les protestants ne restituent-ils pas à leurs instances ecclésiastiques le rôle qu'ils ont refusé à celles du catholicisme ?

Calvin fournit un exemple frappant d’une telle contradiction. En 1537, un de ses adversaires, Caroli, alors pasteur à Lausanne, le somme de signer les symboles d'Athanase et de Nicée Constantinople. Calvin s'y refuse, non pas qu'il serait en désaccord avec ces symboles (encore qu'il ne cache pas qu'il les trouve mal composés et rédigés), mais parce qu'il ne veut pas, écrit-il, « introduire dans l'Église cet exemple de tyrannie : que soit tenu pour hérétique quiconque n'aurait pas répété les formules établies par un autre ». Très belle phrase et principe admirable. Pourtant, en 1537, Calvin et Farel imposent à tous les habitants de Genève, sous peine d'expulsion, la signature de la confession de foi qu'ils ont rédigée.

Comment peut-on à la fois proclamer le sola scriptura et imposer un formulaire ecclésiastique ? À cette question embarrassante, les réformés ont répondu en introduisant dans plusieurs de leurs confessions de foi une clause de révision : si on y trouve quelque chose de contraire à la Bible, on doit les corriger. Elles ne définissent donc pas le sens juste de l’Écriture, comme les décisions du magistère de l'Église catholique, mais elles sont soumises à l'Écriture et doivent être jugées par elle. La Bible, diront les théologiens de la scolastique réformée, est norma normans, règle réglante, règle suprême et souveraine. La confession de foi est norma normata, règle réglée, règle seconde et subordonnée. Elle a donc une autorité relative. Un réformé a toujours le droit de contester la confession de foi au nom de la Bible ; une Église qui ne lui reconnaîtrait pas ce droit ne serait plus réformée.

2. Confession de foi et despotisme ecclésial

Une deuxième question a agité le protestantisme du 19ème siècle. Les confessions de foi ne vont-elles pas contre la liberté de conscience des fidèles, ne leur imposent-elles pas un conformisme qui brise leur sincérité et ne génèrent-elles pas un despotisme ecclésial qui entend régenter les âmes ?

En 1872, se tient à Paris le premier synode national officiel des réformés français depuis celui de Loudun en 1659. En effet, aucun des régimes politiques qui se sont succédés depuis la fin de la mise hors la loi des protestants n'avait autorisé la réunion d'un Synode national. C'est seulement la Troisième République qui a donné la pleine liberté aux protestants (même si le Second Empire finissant avait admis le principe de la convocation d’un synode national). Les débats du Synode portent sur l'adoption d'une nouvelle confession de foi. Un professeur de théologie de Montauban Charles Bois rédige un projet modéré, centriste. Les orthodoxes lui sont favorables et le soutiennent. Beaucoup de libéraux trouvent convenable le texte de Bois et sont prêts à l'accepter à titre personnel. Mais ils ne veulent pas qu'on l'impose à tous les membres de l'Eglise ni qu'on exige des pasteurs qu'ils le signent, bref qu'on en fasse une loi obligatoire. Aucun texte, si bon soit-il ne peut obliger les consciences ni réglementer la foi. À quoi les orthodoxes répliquent que s'il n'y a pas de règles, de définitions, toutes les dérives deviennent possibles, qu'on ne pourra pas empêcher que des athées, ou, ce qui à l'époque paraissait pire, des catholiques ne deviennent pasteurs. Les discussions de 1872 aboutirent à une rupture et les réformés se divisent en deux Eglises différentes, rivales et opposées, jusqu'en 1938 où ils retrouvent leur unité, mais pas complètement, une petite minorité irréductible refusant d'entrer dans la nouvelle Eglise Réformée de France.

Comment l'Église réformée de France a-t-elle réglé ce problème ? Elle a adopté, en 1938, une déclaration de foi et elle a demandé à ses ministres d'y adhérer publiquement. Un « préambule » précise la portée de cette adhésion. J’en cite le passage le plus significatif : « Sans vous attacher à la lettre de ses formules, vous proclamerez le message de salut qu'elles expriment ; ainsi sera maintenue la prédication de l'Evangile ». Ce préambule a deux mérites.

1. D'abord, il souligne qu’il existe une distance et une différence entre le message évangélique et la formulation qu’elle en propose. Adhérer à la confession de foi signifie accepter sa visée, son intention, et nullement se lier aux mots, aux phrases, à la rhétorique, voire à la conceptualité qu'elle utilise.

2. Ensuite, ce préambule lie la « déclaration de foi » à la prédication. On ne demande pas à tous les membres de l’Église d’y souscrire. Seuls ceux qui exercent un ministère pastoral doivent la signer. On ne veut pas sonder leur conscience, mais on leur demande, lorsqu'ils prêchent et enseignent de s'en tenir au cadre que la déclaration de foi définit. Une Église qui accorde une valeur essentielle à la prédication se doit de fixer les principes qui la commandent, l'animent et la limitent. Elle apporte ainsi une garantie aux fidèles qu'on ne livre pas au subjectivisme et aux fantaisies du prédicateur. Elle donne également au prédicateur des références qui lui permettent de se défendre contre des critiques ou des pressions et qui l'autorisent parfois à aller plus loin, à faire preuve de plus d'audace que ne le souhaiteraient ses auditeurs.

La déclaration de foi, ainsi comprise pose une référence commune. Elle n'entend pas déterminer la seule bonne interprétation de l'évangile, elle ne se prétend pas définitive, indiscutable et immuable. Mais elle indique aux ministres et aux fidèles les règles, les principes qui orientent et commandent aussi bien la prédication que l'enseignement d'une Église. J’espère vivement, pour ma part, que l’Église Protestante unie, si elle adopte une confession, ira dans le même sens que l’Église Réformée de France.

 

Conclusion

À cette question de la confession de foi ecclésiale, Paul Tillich a apporté une réponse que j'aime bien. En 1953, à New-York, il s’adresse à des étudiants en théologie sollicités par diverses Églises qui veulent les recruter et leur demandent d’adhérer à leur confession de foi. Il leur explique qu’être chrétien ne consiste pas à accepter des doctrines, si estimables soient-elles (elles ne le sont pas toutes), ni à observer des pratiques pieuses (prières, cultes, sacrements), ni à appartenir à une église (il existe des chrétiens hors de toute communauté croyante). Ce n'est même pas croire tout ce que raconte le Nouveau Testament (il comporte bien des pages contestables), mais c'est ressentir que ce dont parle le Nouveau Testament ou ce dont il est question dans les confessions de foi a une importance décisive dans et pour sa vie. On est chrétien quand on reçoit des textes évangéliques et ecclésiaux des impulsions qui orientent notre existence, quand on y cherche une parole qui lui donne sens, même si on se pose des problèmes, si on éprouve des doutes et si on ressent des difficultés.

Tillich me semble, ce jour-là, avoir exposé une conception libérale de la confession de la foi. Il en reconnaît la valeur et l’utilité tout en refusant d’en faire un impératif absolu. Elle sert à délimiter des interrogations et à indiquer des directions plus qu’elle n’apporte des réponses ou définit des positions. Elle n’enferme pas dans des formules, elle initie une démarche et un mouvement. Elle n’est pas le but, le point d’arrivée, mais comme les « camps de base » des alpinistes, elle permet d’aller plus loin, elle invite et aide à continuer la marche.

André Gounelle
(cours, repris avec des variantes dans Fritz Lienhard et Isabelle Grellier (éd.),
Comprendre et s’engager, Oberlin et Olivétan, 2005)

 

NOTE sur le vocabulaire

On trouve trois expressions voisines : « profession », « confession » et « déclaration » de foi. Quelles différences entre ces trois expressions ?

1. « Profession » vient des mots latins pro (devant) et fateor déclarer. L’expression « profession de foi » est peu employée en protestantisme. Elle l’est plus dans le catholicisme classique qui estime que la « profession » de foi est individuelle et que la « confession » est collective ou communautaire. Mais comme pour le catholicisme classique la profession individuelle doit s’aligner sur la confession ecclésiale, il n’y a pas grande différence entre les deux expressions.

2. Depuis deux siècles, les protestants appellent les textes de type doctrinal tantôt « déclaration », tantôt « confession » de foi. En 1934, les protestants allemands opposés au nazisme, réunis en synode à Barmen, votent une « déclaration » et non une « confession » de foi. Quand elle s’unifie en 1938, l'Église Réformée de France intitule « déclaration » sa base doctrinale. Quelle différence entre une confession et une déclaration de foi ? À cette question, j’ai repéré deux réponses.

- La première l’emporte dans les milieux réformés. La distinction ne tient pas tant, pour eux, à la nature du texte qu’à la situation de ceux qui y adhèrent et l’adoptent. Quand ils le font au péril de leur vie, on parle de « confession », dans les autres cas de « déclaration ». Se réclamer de la Confession de la Rochelle dans la France du seizième siècle entraînait le risque d’emprisonnement ou d’exécution. Signer en 1938 la déclaration de foi de l’Eglise Réformée de France ne comporte aucun danger de ce genre. En fait, la distinction reste relative. Á Genève en 1537, c’est de ne pas signer la confession de foi proposée par Farel et Calvin qui aurait été dangereux. Dans le cas de Barmen, des sanctions plus ou moins lourdes étaient bel et bien envisageables et ont été effectivement prises (du coup les réformés français disent souvent « confession » de Barmen).

- La deuxième domine dans les milieux luthériens. Elle considère que la différence entre confession et déclaration de foi réside dans la nature même des textes. La confession de foi pose les principes fondamentaux qui valent en tout temps et dans toute situation. La déclaration indique comment à une époque et dans un pays donnés ces principes s'appliquent, ce qu'ils signifient concrètement. Ainsi la confession de foi proclame que Jésus est le Seigneur ; dans l’Allemagne de 1934, la déclaration de Barmen (ce sont les luthériens qui imposent l’appellation « déclaration ») en tire la conséquence qu’Hitler n’est pas le seigneur. La confession de foi proclame que tous les hommes sont enfants de Dieu, en 1970 aux U.S.A., en 1980 en Afrique du Sud de 1980, des déclarations de foi en tirent la conséquence qu’un chrétien ne peut pas accepter une société structurée par l'apartheid. La confession de foi proclame que Dieu a crée les cieux et la terre, le Conseil œcuménique dans les années 1980-1990 en tire la conséquence du respect de la nature. La déclaration de foi précise en quoi consiste concrètement, dans une situation donnée la fidélité aux principes affirmés par la confession.

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André Gounelle

Professeur émérite de la faculté de théologie protestante de Montpellier

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