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Le sacerdoce universel

 

1. Formulation de la doctrine.

Luther formule et explicite cette doctrine dans les trois grands écrits réformateurs de 1520, à savoir la Lettre à la noblesse chrétienne de la nation allemande, De la captivité babylonienne de l'Église et le Traité de la Liberté chrétienne*. Voici la manière dont il la présente dans la Lettre à la noblesse chrétienne :

On a inventé que le pape, les évêques, les prêtres, les gens des monastère seraient appelés "état ecclésiastique" et que les princes, les seigneurs, les artisans et les paysans seraient appelés "état laïc", ce qui est, certes, une fine subtilité et une belle hypocrisie. Personne ne doit se laisser intimider par cette distinction pour cette bonne raison que tous les chrétiens appartiennent vraiment à l'état ecclésiastique; il n'existe entre eux aucune différence, si ce n'est celle de la fonction ... nous avons un même baptême, un même évangile, une même foi et sommes de la même manière chrétiens, car ce sont le baptême, l'évangile et la foi qui seuls forment l'état ecclésiastique. Ce que fait le pape ou l'évêque, à savoir l'onction, la tonsure, l'ordination, la consécration ... peuvent transformer un homme en cagot ou en idole barbouillée d'huile, mais ils ne font pas le moins du monde un membre du sacerdoce ou un chrétien. En conséquence, nous sommes absolument tous consacrés prêtres par le baptême".

Deux remarques marginales d'un point de vue théologique sur ce texte.

  • 1. D'abord, il reflète la structure de la société du seizième siècle : les souverains, la noblesse, les artisans, les paysans et, en face d'eux, séparés d'eux, formant une catégorie distincte, mais également hiérarchisée et diversifiée (pape, évêques, prêtres, religieux), les ecclésiastiques.
  • 2. Ensuite, en niant la distinction entre ecclésiastiques et laïcs, en déclarant que tous sont prêtres, Luther met en cause une partie de l'organisation de la société de son époque. D'autres, ceux qui suivent et entourent Thomas Müntzer, iront plus loin que Luther et refuseront les hiérarchies non seulement ecclésiales, mais aussi sociales, celles entre la noblesse et le peuple.

Passons à l'aspect proprement théologique de cette doctrine du sacerdoce universel. Elle affirme que tous les fidèles sont prêtres. Leur baptême les consacre à la prêtrise. Par conséquent, on ne doit pas distinguer dans l'Église deux catégories de gens, d'une part les religieux ordonnés qui forment le clergé, d'autre part les fidèles ordinaires qui constituent le laïcat. Dans la relation avec Dieu, et dans les rapports entre frères dans la foi, règne une complète égalité; personne n'a de privilège ni de supériorité par rapport aux autres.

2. Critique et rejet du sacerdoce ministériel.

Comme le montre à l'évidence le texte de Luther que l'on vient de citer, la doctrine du sacerdoce universel a une portée polémique et contestataire; elle s'attaque à l'ordre ecclésial existant. Il importe de bien situer l'opposition. Il n'y a pas débat sur le fait qu'il existe un sacerdoce universel, commun à tous les fidèles*. L'Église catholique l'enseigne, le proclame, affirme son importance*. Ce sacerdoce consiste à faire connaître l'évangile aux êtres humains et à prier Dieu pour le monde. Tous les croyants doivent remplir cette mission et s'en sentir responsables. Sur ce point, catholicisme et protestantisme s'accordent.

La divergence porte sur le sacerdoce ministériel qui, selon le catholicisme, s'ajoute au sacerdoce commun. Ces deux sacerdoces "diffèrent essentiellement", affirme le Catéchisme de l'Église catholique. Entre eux, déclare le second Concile du Vatican dans sa constitution Lumen Gentium, existe une différence non pas seulement de degré, mais d'essence ou de nature. Au sacerdoce ministériel, tel que le conçoit le catholicisme, le protestantisme adresse quatre grandes critiques.

1. Il établit une médiation entre Dieu et les fidèles. La fonction sacerdotale a deux faces, l'une dirigée vers Dieu, l'autre tournée vers le peuple croyant. D'un côté, au nom du peuple chrétien, le prêtre offre le sacrifice eucharistique à Dieu; ce faisant il porte et donne en quelque sorte les fidèles à Dieu. De l'autre côté, en consacrant et en distribuant l'hostie, le prêtre porte Dieu et le donne aux fidèles. Il est donc semblable à Christ qui, dans la doctrine traditionnelle, représente Dieu devant les humains et représente les humains devant Dieu. De très nombreux textes catholiques soulignent ce caractère christique du prêtre* que refusent catégoriquement les protestants. Pour eux, il y un seul médiateur, Jésus Christ. Ils reprochent au catholicisme de confondre les serviteurs avec le maître, en conférant au prêtre des fonctions qui appartiennent seulement à Jésus.

2. La deuxième critique porte sur le caractère obligatoire de la médiation sacerdotale. Le catholicisme juge le prêtre absolument nécessaire. Sans lui, les relations entre Dieu et le croyant demeurent incomplètes, insuffisantes imparfaites. Aux yeux des protestants, cette médiation obligatoire porte atteinte à la fois à la souveraineté divine et à la liberté humaine. À la souveraineté divine, car elle oublie ou nie que Dieu agit et se manifeste là où il le veut, quand il le veut, qu'il ne se lie à aucune institution. À la liberté humaine, parce que le fidèle n'a pas accès directement à Dieu; il dépend d'un clergé.

3. La fonction sacerdotale, telle que le catholicisme la comprend, implique la célébration d'un sacrifice, celui de la messe, offert à Dieu. Pour la Réforme, le ministère a pour fonction d'annoncer l'évangile, de le prêcher et de l'enseigner. Il n'a pas de dimension ou d'aspect sacrificiel. Autrement dit, il n'offre pas quelque chose à Dieu; il ne lui fait aucun don. Il proclame ce que Dieu offre et donne aux être humains. Dans leurs relations avec Dieu, les fidèles reçoivent tout et n'apportent rien, ou du moins n'apportent rien d'autre que leur louange, quand ils remercient Dieu et le bénissent pour ses bienfaits. L'idée de sacrifice implique une "œuvre", et nie le sola gratia.

4. La quatrième critique concerne la mise à part du clergé, sa séparation d'avec le laïcat. Par son ordination, le prêtre sort du troupeau. Il n'est plus comme tout le monde. Il revêt un caractère sacré qui le met à part et le distingue des autres croyants. La distinction se marque, entre autres, par le célibat, sans que cette marque ne soit fondamentale ni absolument nécessaire. Théologiquement, rien n'empêche d'admettre des prêtres mariés. Le célibat, qui ne se répand et ne se pratique de manière générale (avec quelques exceptions) qu'à partir des dixième et onzième siècles, tient aux circonstances, au contexte, à la situation historique. Plus profondément, le prêtre se distingue par deux éléments :

a/ Premièrement, seul, il a le pouvoir de célébrer l'eucharistie et d'opérer la transsubstantiation des espèces. Pour la Réforme, au moins en principe, n'importe quel fidèle peut accomplir tous les actes cultuels et remplir toutes les fonctions ecclésiastiques. Dans la Lettre à la noblesse chrétienne, Luther le précise très clairement* :

"Que tout homme qui se reconnaît chrétien soit assuré et sache ... que nous sommes tous également prêtres, c'est à dire que nous avons le même pouvoir à l'égard de la parole et de tout sacrement"

Et ailleurs* :

"Si une petite troupe de pieux laïcs chrétiens était faite prisonnière et déportée dans un lieu désert, s'ils n'avaient pas près d'eux un prêtre consacré par un évêque ... ils choisiraient l'un d'eux, qu'il soit ou non marié, et lui confieraient la charge de baptiser, de célébrer la messe, d'absoudre et de prêcher; celui-là serait vraiment un prêtre, comme si tous les évêques et les Papes l'avaient consacré".

Au dix-septième siècle, le pasteur français du Moulin envisage l'hypothèse de naufragés chrétiens sur une île déserte, et déclare que sans ministres, ils ont le droit de célébrer la Cène (Robinson sera un sujet de réflexion théologique).

b/ Un deuxième élément distingue le prêtre : il le reste quoi qu'il arrive. Son ordination imprime une marque indélébile à sa personne. La liturgie d'ordination souligne que celui qui la reçoit devient prêtre pour l'éternité. Cette caractéristique naguère très forte a été exploitée dans le roman et le cinéma avec le thème du "défroqué" à qui sa prêtrise colle à la peau, qui n'arrive pas à s'en débarrasser. Elle tend aujourd'hui à s'atténuer avec la multiplication et la banalisation des "réductions à l'état laïque", bien qu'en principe elle demeure. Au contraire, dans le protestantisme, le ministère est une fonction qu'exerce quelqu'un, mais qui ne change pas son être. S'il abandonne ses fonctions, il n'est plus pasteur. Le pasteur se définit par son activité, par son faire, non pas un être spécial. "Celui qui ne prêche pas la parole, écrit Luther, ... n'est d'aucune manière pasteur ... c'est le ministère de la parole qui fait le pasteur"*. D'où les réticences, dans le protestantisme, de continuer à appeler "pasteur" un ministre qui exerce d'autres fonctions, qui prend par exemple la direction d'une œuvre ou qui devient professeur de théologie.

3. Les trois interprétations du sacerdoce universel.

Après la critique du sacerdoce particulier, voyons maintenant la signification du sacerdoce universel. On en a donné trois interprétations différentes.

1. Pour beaucoup, cette doctrine veut dire purement et simplement qu'il n'y a plus de sacerdoce. Le sacerdoce implique en effet une distinction entre les prêtres et les fidèles. Si on l'abolit, du même coup, on fait disparaître la notion de clergé. Tous les chrétiens sont exactement sur le même plan, même si certains exercent, pour des raisons pratiques, des fonctions particulières. Nous sommes tous, y compris les pasteurs, des laïcs. En ce sens, Troeltsch pu qualifier le protestantisme de "religion laïque"*. Le sacerdoce universel, selon cette première interprétation, signifie que chacun est son propre prêtre; chacun est prêtre pour lui-même, parce qu'il a accès directement à Dieu et au Christ, et n'a pas besoin d'intermédiaire. Par contre, personne n'est prêtre pour les autres; aucun être humain, aucun ministre ne s'interpose entre Dieu et le croyant.

2. Pour d'autres, la doctrine du sacerdoce universel ne signifie pas : "nous sommes tous laïcs, y compris les pasteurs". Elle proclame, à l'inverse : "nous sommes tous prêtres, y compris les laïcs". Loin de supprimer le sacerdoce, elle l'étend à l'ensemble des fidèles. Il ne définit pas un petit groupe de clercs, il caractérise tous les chrétiens. Chacun, de par son baptême, devient prêtre nous seulement pour lui, mais pour tous les autres, dans la mesure où il a à leur faire connaître Jésus Christ et à témoigner auprès d'eux de l'évangile. Dans cette perspective, la doctrine du sacerdoce universel autorise également chaque fidèle à accomplir tous les actes du culte (y compris la célébration des sacrements) et à remplir toutes les fonctions ecclésiastiques. Il n'existe pas de domaines réservés aux ministres. Souvent, les orthodoxes et les catholiques reprochent aux protestants d'accepter que des laïcs non ordonnés président la cène; ils y voient un des points les plus graves de désaccord entre les diverses Églises.

3. Certains courants, qui se situent dans la mouvance de la Réforme radicale, ont pensé que le sacerdoce universel signifiait l'illégitimité de toute formes de ministère. Quelques groupes, par exemple les mennonites et les darbystes, ont voulu et mis en place des communautés sans pasteurs. Souvent, ils considèrent que créer un corps de ministres constituait la faute majeure que pouvait commettre une Église. Il en résulte inévitablement des problèmes d'autorité, de pouvoir, et d'argent qui viennent vicier la vie communautaire. De plus, l'institution du ministère confère à des êtres humains une valeur religieuse indue; elle leur accorde des prérogatives contraires à l'enseignement de l'évangile. Elle nie ou contredit la liberté et la spontanéité de l'Esprit qui agit directement, sans aucune médiation.

Luthériens et réformés ont vivement réagi contre cette manière de voir. Dès 1520, dans le Traité de la Liberté chrétienne, Luther* souligne qu'il n'entend pas supprimer les ministères :

"S'il est vrai que nous sommes tous également prêtres, nous ne pouvons cependant pas tous être chargés du service et de l'enseignement publics".

La Confession helvétique postérieure de 1566, confession réformée, déclare* qu'il faut

"se garder d'attribuer tellement à la vertu secrète du Saint Esprit ... que nous anéantissions le ministère ecclésiastique ... La prêtrise ... est commune à tous les chrétiens, mais non pas les ministères"

Le sacerdoce universel n'entraîne nullement une indivision ministérielle. Les ministres spécialisés ne sont pas nécessaires pour des motifs théologiques fondamentaux, parce qu'il seraient seuls qualifiés à remplir certaines fonctions. Ils sont, cependant, utiles pour des raisons pratiques. Tout le monde n'a pas acquis les connaissances et la formation qui permettent d'expliquer pertinemment la Bible ou de célébrer avec ordre et dignité une cérémonie publique. Dans beaucoup de domaines, on fait appel à des techniciens non pas parce qu'il serait interdit de s'en occuper directement, mais parce que l'on manque d'habileté ou de temps pour faire soi-même le travail.

André Gounelle
cours

Notes :

*M. Luther Œuvres, vol. 2, p. 84 à 86, 249 à 252, 285 à 286.

* Sacerdoce affirmé par la première épître de Pierre, ch.2, v. 9.

* Encyclique Mediator Dei (1947), Lumen Gentium (1965), ch.2, § 10, Presbyterum Ordinis, § 2, dans G. Dumeige, La foi catholique, p. 286, 471, 477; Catéchisme de l'Eglise catholique, p.330.

* Lumen Gentium (1965), ch.2, § 10, Presbyterum Ordinis, § 2, dans G. Dumeige, La foi catholique, l'Orante p. 286, 471, 477.

* M. Luther, Œuvres, vol.2, p251.

* M. Luther, Œuvres, vol.2, p.85.

* M. Luther, Œuvres, vol.2, p.251.

* A.N. Bertrand, Protestantisme, p.34-35, qui cite et discute cette formule.

* M. Luther, Œuvres, vol.2, p.251, 286.

* Confessions et catéchismes de la foi réformée, p.264, 267.

 

 

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André Gounelle

Professeur émérite de la faculté de théologie protestante de Montpellier

Webmaster : Marc Pernot