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Théologie

 

Le mot théologie associe deux termes grecs : theos qui veut dire Dieu et logos. Étymologiquement, la théologie est un logos sur Dieu. Dans un premier point je m’arrêterai sur le sens du mot logos ; un deuxième portera sur le défi que représente un logos concernant Dieu, et je terminerai par un troisième point sur la manière dont le néoprotestantisme tente de relever ce défi.

1. La notion de "logos"

En grec, le mot Logos a trois sens, qui s'enchaînent.

1. Logos signifie, d'abord, la parole articulée et construite. Si je me donne un coup de marteau sur le doigt, et que je pousse un cri; si en marchant, je sifflote un air, sans y prendre garde; si dans une forte fièvre, je délire, c'est à dire si je prononce des syllabes à la suite les unes des autres qui ne forment pas de phrases ni même de mots, dans tous ces cas, on a des sons, des bruits qu'on ne peut pas qualifier de "logos". Par contre, si je dis: "je me suis blessé en plantant un clou", ou bien si je chante les diverses strophes d'un cantique, ou encore si je raconte à des amis une histoire avec un début, un milieu et une fin, alors nous avons affaire à un "logos". Le "logos" est, en premier lieu, une parole intelligente et intelligible, un agencement de mots et une combinaison de phrases qui sont compréhensibles, un énoncé qui a et exprime un sens.

2. Le deuxième sens du mot logos découle du premier. Du discours intelligible, on va passer à l'intelligence qui s'exprime ou qui se manifeste dans un tel discours. Le logos n'est pas seulement la parole construite, articulée, mais aussi le travail de l’esprit (réflexion et savoir) qui classe nos sensations, nos expériences et nos observations, qui saisit les choses, qui interprète les événements, qui permet de les raconter, de les décrire, et de les expliquer. En ce deuxième sens, logos correspond à deux mots français :

- d'abord, à celui de "logique", c'est à dire ce qui permet de bien raisonner, de bien connaître les choses, d'en montrer la cohérence.

- ensuite, à celui de science. Logos a donné en français le suffixe "logie" qui désigne quantité de sciences : géologie, ou science de la terre; biologie, ou science de la vie; archéologie, ou science des antiquités, etc. La science, en effet, donne une connaissance raisonnée des choses qui permet d'en parler de manière intelligente et cohérente.

3. Ces deux premiers sens du mot "logos" vont en entraîner un troisième. De tout temps, les philosophes se sont étonnés que l'intelligence humaine arrive à comprendre le monde, que la pensée et la science puissent analyser la réalité concrète, y discerner des règles, des structures et des articulations. On pourrait imaginer un univers sans aucune logique, où, par exemple, lorsque je lâche un objet lourd, tantôt il monte en l'air, tantôt il tombe; où encore lorsque je chauffe de l'eau, elle devienne parfois de la glace, parfois de la vapeur. Or, il n'en va pas ainsi. Nous constatons qu'il existe une régularité dans le monde; nos calculs marchent; la nature obéit à des lois mathématiques que notre esprit découvre et formule. La correspondance de l'esprit avec la réalité, qui nous semble toute naturelle tellement nous y sommes habitués, a beaucoup intrigué et émerveillé les philosophes ("ce qu'il y a de plus difficile à comprendre, aurait dit un jour Einstein, c'est que le monde soit compréhensible"). Le monde a une structure intelligible et cette intelligibilité, qui nous est extérieure, s'accorde avec le fonctionnement interne de la pensée. Le mot "logos" sert, en troisième lieu, à désigner cette logique, cette structure intelligible qui se trouve dans les choses, qui leur donne leur vérité ou leur réalité intrinsèques.

2. La théologie

Si on applique à la théologie ces trois sens de "logos", on dira qu'elle est, premièrement, un discours sensé, intelligible sur Dieu; deuxièmement, une intelligence et une connaissance de Dieu; troisièmement, la structure même de l'être de Dieu.

Cette formulation soulève un énorme problème. Si notre discours a la capacité de rendre compte, au moins partiellement, du monde, par contre Dieu lui échappe. En effet, Dieu est transcendant, ce qui signifie qu'entre lui et nous existe une différence radicale. Cette différence, la Bible l'exprime de diverses manières. Par exemple, elle déclare que Dieu est créateur, alors que nous sommes des créatures. Le prophète Esaïe écrit que Dieu est un "Dieu caché" (45/15), que ses pensées ne sont pas nos pensées, que ses voies ne sont pas les nôtres (55/8). Les derniers chapitres du livre de Job soulignent l'incompréhensibilité de Dieu. L'apôtre Paul écrit que sa paix surpasse toute intelligence (Phil.4/7). Et pourtant, la Bible dit aussi, c'est même son message essentiel, que Dieu se manifeste, se révèle, se donne à comprendre aux êtres humains. Son logos s'est fait chair, déclare l'évangile de Jean, chair, c'est à dire visible, tangible, et audible. Il se fait proche de nous, semblable à nous. Son altérité n’est pas totale.

Il en résulte que la théologie chrétienne se trouve prise dans une tension, ou une bipolarité, à laquelle elle ne peut pas échapper ni ne doit essayer de la faire. Il lui faut rendre compte à la fois du mystère ou du secret de Dieu et de sa révélation, à la fois de son éloignement et de sa proximité, à la fois de sa transcendance et de son incarnation. Il y a, en même temps, une distance et une relation, une différence et un rapport entre, d'une part, ce que nous disons et comprenons de Dieu, et, d'autre part, ce que Dieu est*.

La réflexion théologique avance, donc, toujours entre deux précipices où elle risque de tomber. Elle navigue entre deux écueils qui la menacent.

- D'un côté, elle ne doit jamais oublier que notre pensée et notre discours ne peuvent pas saisir Dieu, l'enclore comme disait Calvin, c'est à dire s'en emparer. Jamais nous ne parviendrons à connaître, et à dire les profondeurs de son être, à exprimer son "logos" au troisième sens du mot, c'est à dire la structure et la réalité internes de son être. La théologie doit donc rester modeste, et ne pas évacuer trop vite l’inconnaissable, l'incompréhensible, l'ineffable.

- De l'autre côté, la théologie doit dire quelque chose de Dieu, afin que l'évangile soit entendu et ait un sens pour les humains. "Malheur à moi si je n'annonce pas l'évangile", écrit Paul (1 Cor. 9/11), c'est à dire, malheur à moi si je ne parle pas de Dieu; et Jésus déclare : "s'ils se taisent, les pierres crieront" (Luc 19/40). Pour l’être humain, seul existe ce qui entre dans son langage et dont il peut se former une idée. Si on tait Dieu, on l’élimine de notre horizon. Le mystère, l'ineffable, l'incompréhensible ne doivent pas justifier le silence ou le mutisme.

La théologie se trouve donc devant un défi : comment parler de manière intelligible de ce ou de celui qui dépasse notre intelligence. Entre notre logos et le Logos divin, il y a une relation (nous sommes l'image de Dieu et sa parole a pour nous du sens), mais aussi un écart : notre logos ne correspond jamais parfaitement avec celui de Dieu. L'agnosticisme oublie la relation, le dogmatisme néglige l'écart. La théologie navigue entre ces deux écueils qui la menacent : celui de s'imaginer trop savoir, celui de renoncer à tout savoir. Elle ne sait pas bien ni complètement, elle ne sait pas rien ni nullement.

3. Le néoprotestantisme

J'en arrive à mon troisième point : comment le néoprotestantisme tente-t-il de relever ce défi ?

1. D'abord, j'explique le terme de "néoprotestantisme". À la fin du dix-huitième siècle, dans la pensée et la pratique du protestantisme s'opère un tournant d'une ampleur considérable, on pourrait presque parler d'une révolution. Comme le souligne l'allemand Ernst Troeltsch (1865-1922), par leur manière de penser, par leurs attitudes et leur sensibilité, Luther, Zwingli et Calvin ressemblent plus aux catholiques du seizième siècle qu'aux protestants modernes. Les différences entre les Réformateurs et leurs héritiers l'emportent de beaucoup en importance et en profondeur sur celles qui les séparaient de leurs adversaires contemporains. Ils raisonnaient en effet dans le même cadre social et avec les mêmes catégories de pensée, alors que les problèmes pratiques et les démarches intellectuelles des protestants d'aujourd'hui n'ont plus grand chose de commun avec les leurs.

Parmi les nombreux changements qui interviennent, j'en relève un seul, qui concerne directement la théologie. Le néoprotestantisme va proposer une conception de la théologie qui y voit non pas un savoir objectif, mais une expression subjective. Je m'en explique.

2. Chez les Réformateurs et dans le protestantisme d'autrefois, comme dans le catholicisme jusqu'à une époque récente, on a la conviction que le logos humain exprime non pas totalement, mais en partie et fidèlement le logos de Dieu. La doctrine ne dit pas tout sur Dieu, mais ce qu'elle dit correspond exactement à son être (dogme trinitaire) et à son action dans le monde (création, providence, salut, etc.). La doctrine formule une vérité qui ne dépend pas de nous, qui nous est extérieure, que nous pouvons exposer de manière neutre, sans nous engager et nous mettre personnellement en cause, On pourrait presque dire que la théologie est une affaire d'intelligence et de connaissance, de réflexion et de savoir, et qu'elle n'implique pas forcément la ferveur religieuse. Au dix-huitième siècle, des théologiens protestants, comme le réformé français Jurieu ou le luthérien allemand Semler, vont jusqu'à admettre que le théologien peut, à l'extrême rigueur, ne pas être croyant. En effet, disent-ils, ce qui fait de quelqu'un un théologien, ce sont ses connaissances, sa capacité de raisonner, non sa foi, ni son expérience spirituelle. Cette position, à première vue étrange, ne manque pas de pertinence. Je me souviens de cet étudiant qui avait échoué à un examen de grec et qui avait dit à son professeur ; "je vous assure, j'aime le Seigneur, et je veux le servir de toutes mes forces; donnez moi le diplôme". À quoi, le professeur lui a justement répondu que le diplôme de théologie n'avait pour but de garantir qu'il aimait bien le Seigneur, mais de certifier sa capacité de distinguer un génitif d'avec un datif, et de bien traduire un texte grec. On peut être un bon théologien et un mauvais croyant, comme on peut être un croyant fervent, et un mauvais théologien.

2. Au dix-neuvième siècle, à la suite de Kant, on prend conscience que nos descriptions, nos analyses, notre perception des objets dépendent tout autant de ce que nous sommes que de ce qu'ils sont. Avec des yeux différents, nous les verrions autrement. Nous les saisissons à travers les "lunettes" de notre esprit qui tiennent à la constitution de notre être. Notre discours ne décrit pas les choses telles qu'elles sont en elles-mêmes, mais telles que nous les percevons en fonction de ce que nous sommes.

 Ce qui va conduire le néoprotestantisme à affirmer que la théologie ne parle pas de l'être de Dieu, mais de la manière dont Dieu nous touche, nous atteint, et s'inscrit dans notre existence. Plutôt que "théologie" (savoir sur Dieu), il serait préférable de dire "anthropothéologie" (Barth préférait : « théoanthropologie » parce qu’il tient à souligner que l‘initiative vient de Dieu). On ne traite pas de Dieu en lui-même, mais de l'expérience que le croyant en fait. En Allemagne, on se met à employer le terme de Glaubenslehre qui indique qu'on n'entend pas décrire la divinité, mais analyser la vie croyante. En France, on ne parle plus de confession mais de déclaration de foi. La doctrine n'est plus ce que le chrétien doit croire, mais l'expression de ce qu'il vit dans la foi.

Ce qui entraîne deux conséquences :

- D'abord, si l'expérience croyante ne suffit pas à faire le théologien, s'il lui faut également du savoir et de la réflexion, elle est cependant nécessaire. Si elle manque, on aurait une situation absurde, comparable à celle d'un musicien sourd ou d'un peintre aveugle. Quand on analyse les pratiques et les discours de ceux qui ont une expérience religieuse qu'on n'éprouve pas soi-même, on fait de la science des religions, pas de la théologie.

- Ensuite, quand l'expérience se modifie, les doctrines évoluent. En effet, elles ne définissent la divinité en elle-même. Elles disent comment on l'a perçu et compris dans un certain contexte. Dans une autre situation, on l'expérimente et on l'exprime de manière différente. Il nous faut non pas répéter les formules anciennes, par exemple les définitions trinitaires et christologiques des conciles des quatrième et cinquième siècles, mais en trouver de nouvelles, qui correspondent à notre situation, en sachant qu'elles seront, à leur tour, critiquables et révisables.

En ce qui concerne la Bible, le néoprotestantisme ne considère pas qu'elle a le Saint Esprit pour auteur, et qu'elle est la Parole même de Dieu couchée sur du papier. Elle est un discours humain qui rend compte des expériences spirituelles faites par des communautés (juives et chrétiennes) et par des personnages exceptionnels. Il ne s'agit pas d'illusions, mais d'expériences authentiques, dans lesquelles Dieu rencontre véritablement des êtres humains. Toutefois, le récit qui en est donné traduit tout autant ce qu'ont été et vécu ces hommes et ces communautés que ce que Dieu est et fait, ce qui en rend une critique non seulement possible, mais nécessaire.

Conclusion

Peut-on dire que la théologie est un savoir? Oui, mais en apportant deux précisions.

Premièrement, la théologie est un savoir non sur Dieu, mais sur l'expérience que l'on fait de Dieu. Je la comparerai volontiers à l'esthétique. L'esthétique, en effet, analyse l'émotion que crée en moi une œuvre d'art; elle parle de la relation que j'ai avec un concerto ou un tableau, de ce qu'ils suscitent, suggèrent, font naître chez celui qui la regarde ou l'écoute. Elle ne traite pas de l'œuvre d'art en elle-même, mais de la manière dont elle s'inscrit dans l'existence humaine et l'affecte.

Deuxièmement, la théologie donne un savoir toujours limité et relatif. Ce qu'elle dit a de la vérité, mais seulement jusqu'à un certain point et dans une situation donnée. Quand on n'en a pas conscience, on tombe dans l'idolâtrie de la doctrine qui confond ce que l'on dit de Dieu avec ce que Dieu est. La théologie doit avoir conscience de sa relativité, éviter donc le dogmatisme, sans tomber dans un scepticisme ou un relativisme total : elle vise, sans jamais totalement y parvenir, à exprimer quelque chose ou quelqu'un qui en même temps nous touche et nous dépasse.

En reprenant une image d'un théologien anglican, Robinson, je comparerai le travail du théologien à celui d'un cartographe. Le cartographe se trouve devant une tâche à la fois nécessaire et impossible. Nécessaire, parce que sans carte on se perd, on ne parvient ni à se situer ni à s'orienter. Impossible, parce qu'on lui demande de figurer une sphère, de représenter le globe terrestre, sur une surface plane. Il ne peut le faire qu'en opérant des distorsions et sa carte ne sera jamais totalement juste. Toute carte à la fois exprime et déforme la réalité qu'elle veut représenter. Elle a une exactitude partielle et une valeur opératoire limitée. La même carte ne peut pas servir à préparer un voyage en auto, à étudier l'économie d'un pays et à déterminer le site d'atterrissage d'un vaisseau spatial.

Il en va de même du discours théologique. Ce qu'il dit est vrai, mais seulement jusqu'à un certain point et dans une situation donnée. Quand on n'en a pas conscience, on tombe dans l'idolâtrie de la doctrine. La théologie doit avoir conscience de sa relativité, sans tomber dans un scepticisme ou un relativisme total : elle vise, sans jamais totalement y parvenir, à exprimer une vérité absolue.

André Gounelle
(cours)

Note :

* Aux seizième et dix-septième siècles, les théologiens réformés distinguaient la théologie archetypa  de l'ektypa. La théologie archetypa décrit la structure même de Dieu; elle correspond donc au troisième sens du mot "logos"; cette structure, seule Dieu la connaît; il est donc le seul à pouvoir faire de la théologie archetypa. La théologie ektypa est la connaissance de Dieu que peut avoir un être humain, et qu'il peut exprimer dans un discours (elle correspond donc aux deux premiers sens de Logos). Cette connaissance reste toujours partielle et insuffisante. Il ne faut pas confondre les deux types de théologie, mais on ne peut pas non plus totalement les dissocier. L'ektypa reflète quelque chose de l'archetypa, sans cela elle serait vide, insensée.

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André Gounelle

Professeur émérite de la faculté de théologie protestante de Montpellier

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