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La théologie du process

 

La théologie du Process est un courant qui a une certaine importance dans les pays anglo-saxons, surtout aux Etats-Unis. Par contre il est assez ignoré en Europe continentale, en particulier dans les pays francophones. Il se réclame des catégories de pensée de deux grands philosophes Whitehead et Harsthorne, qu’il applique au domaine de la religion ou de la foi.

Je vais le présenter ce courant à partir de trois auteurs: deux théologiens John Cobb et David Griffin, et un philosophe Lewis Ford, qui enseigne en Virginie.

1. La démarche théologique

Quatre caractéristiques définissent la nature et la tâche de la théologie telle que la comprennent nos auteurs.

1. La théologie, travail de la pensée.

Ils soulignent, en premier lieu, que la théologie consiste en un travail de la pensée, travail qui à leurs yeux a une importance capitale pour trois raisons. D'abord, parce qu'une foi insuffisamment réfléchie ne parvient pas à prendre place dans notre vision du monde et notre compréhension de l'existence. Du coup l'insignifiance et le manque de sens la menacent. Ensuite, parce que des doctrines ou des idées erronées faussent, déséquilibrent, en certains cas empêchent et étouffent la vie spirituelle. L'image d'un Dieu conçu comme un despote, autoritaire, imprévisible, et tout-puissant. a des conséquences existentielles néfastes. Enfin, parce que consciemment ou non, toujours une théorie façonne, oriente, commande nos pratiques. Notre action dépend de la manière dont nous comprenons le monde. Elle n'a d'efficacité que lorsqu'une juste vision des choses la guide.

Aux yeux des penseurs du Process, le christianisme contemporain souffre d'une carence intellectuelle qui le rend fragile, vulnérable, qui affaiblit son dynamisme et son rayonnement. Une théologie qui réfléchit ne relève pas du luxe, mais d'une nécessité vitale. Le passage par la théorie est indispensable pour toute pratique; il ne faut surtout pas l'économiser.

2. Théologie et Bible

Nos auteurs définissent le rapport entre la Bible et la théologie en deux points.

1. L'Ancien et le Nouveau Testament contiennent des récits et des témoignages concernant des interventions décisives de Dieu dans le monde, mais ne donnent pas un enseignement sur la nature du réel et de Dieu. En fonction de leurs récits, la théologie doit construire une théorie qui rende compte du monde et de l'existence humaine. Pour cela, elle puise aussi ailleurs que dans la Bible, qui ne répond pas à quantité de questions que nous nous posons. De plus, les récits de l'Écriture ne sont pas toujours convergents et conciliables On est bien obligé d'opérer des choix, d'en privilégier certains, d'en écarter d'autres. Le tota Scriptura est une chimère. Tout théologien, tout pasteur, tout chrétien, consciemment ou non, explicitement ou non, fait des choix dans la Bible; c'est inévitable. L'honnêteté consiste à le dire, à indiquer pourquoi nous faisons tel choix et donc à le soumettre à la discussion. En tout cas, la théologie ne peut pas se borner, et en fait elle ne se borne jamais nulle part à commenter la Bible.

2. Si la Bible ne fournit pas ni n'impose de système doctrinal, par contre il y a des systèmes qu'elle interdit parce qu'incompatibles avec son témoignage. Pour prendre un exemple extrême, les données bibliques obligent à rejeter une ontologie athée ou une doctrine qui présenterait un dieu totalement impuissant. Parmi les systèmes doctrinaux que ne contredit pas le témoignage scripturaire, il faut donner la préférence à celui qui rendra le mieux compte du plus grand nombre de textes bibliques (on ne rendra jamais compte de tous) et qui en donnera l'explication la plus satisfaisante. Autrement dit, il doit y avoir non seulement compatibilité, mais aussi cohérence, correspondance, harmonie entre le témoignage biblique et le système doctrinal.

3. Le principe de cohérence

Les penseurs du Process affirment fortement que le réel forme un ensemble homogène et cohérent. Il existe certes des nuances, des variantes et des diversités dans l'univers, mais pas de ruptures fondamentales, ni de discontinuités. Il n'y a pas d'un côté le domaine de Dieu et de la foi qui aurait sa logique propre et, de l'autre, le domaine du profane qui obéirait à d'autres règles. Les théologies du paradoxe, du saut, de l'absurde, de l'irrationalité oublient ou nient l'unité du monde et celle de l'existence. La théologie doit se situer non pas en contradiction, mais en continuité avec l'ensemble du savoir et de l'expérience, avec la science, la philosophie, l'art. Elle doit pouvoir en rendre compte et il lui faut se refuser à devenir sectaire, c'est à dire à se couper de ce qui se fait et se dit ailleurs, à se laisser enfermer dans un ghetto.

4. Des hypothèses, non des dogmes.

La théologie ne formule pas des dogmes obligatoires qui s'imposeraient aux chrétiens. Elle propose une explication et une interprétation de la foi. Ses doctrines sont des propositions plus ou moins bonnes dont il faut évaluer la pertinence, percevoir les limites, que l'on peut toujours améliorer, qu'il faut parfois remplacer par d'autres qui conviennent mieux.

Les théologiens du Process confèrent donc à la doctrine théologique un statut comparable à celui de l'hypothèse ou de la théorie en science. On n'arrive jamais à démontrer une théorie. Les faits et les expériences ne l'imposent pas de manière nécessaire et indiscutable. Par contre, en certains cas, ils la démentent, la réfutent, en font apparaître la fausseté, montrent qu'elle est insoutenable. Il y a toujours plusieurs théories possibles. La valeur, la plus ou moins grande probabilité ou vraisemblance d'une théorie tient à sa capacité d'expliquer de manière cohérente et satisfaisante un grand nombre de faits. En science, toute théorie atteint un jour ou l'autre sa limite. Une théorie meilleure en remplace une moins bonne, ou une plus vaste englobe une plus restreinte. Il en va de même en théologie. Les penseurs du Process ne prétendent donc pas posséder la vérité dernière et définitive, mais ils estiment que parmi les explications existantes, les propositions qu'ils présentent se défendent bien et que jusqu'à plus ample informé elles conviennent plutôt mieux que les autres. On trouve chez eux un curieux mélange d'humilité et d'assurance.

2. Le réel et Dieu

1. Le réel.

Les philosophes du Process, A. Whitehead et C. Hartshorne développent une conception du réel qui a quatre grandes caractéristiques.

1. Premièrement, elle se fonde sur une analyse de ce qu'il y a de plus simple et de plus ordinaire, à savoir les mille petits événements que nous vivons tous les jours, comme manger un fruit, écrire une lettre, se promener dans la rue, acheter un journal, etc. Ce qui nous arrive, ce que nous faisons et sentons forme la trame de notre existence et le tissu du réel. Il faut rejeter l'idée kantienne que le réel se trouve derrière la perception que nous en avons, que le phénomène relève de l'apparaître et qu'il faut donc distinguer entre ontologie et phénoménologie. On tombe dans une métaphysique dualiste qui égare quand on pose le réel ailleurs que dans l'expérience. Le réel n'est rien d'autre que l'expérience, et c'est donc en analysant l'expérience que nous l'atteignons

2. Deuxièmement, l'analyse montre que le réel ne se compose pas d'objets solides, massifs et immuables, mais d'une suite et d'une combinaison d'événements que Whitehead appelle "entités actuelles" ou "gouttes d'expérience". N'imaginons pas le monde comme un ensemble de solides, de cailloux ou de rochers placés côte à côte. Pensons plutôt à un fleuve, tantôt tranquille, tantôt agité, qui ne cesse de couler, à un flot dans lequel les gouttes se mélangent, s'interpénètrent constamment, ne restent jamais en place et changent à tout moment. Aucun de nous n'est pas une substance fixe et stable ; nous sommes un agglomérat, une association d'événements chimiques, physiques, biologiques, psychologiques, intellectuels et spirituels, qui se succèdent et interfèrent à chaque instant.

3. Quelle est la structure de ces événements? Prenons-en un tout banal: je lis un livre. Malgré son apparente simplicité, il fait intervenir un nombre considérable de facteurs que l'on peut regrouper en trois catégories.

D'abord, ceux qui viennent du passé. Mon acte de lecture a une préhistoire. Il dépend d'événements antérieurs qui le conditionnent. Il a fallu que ce livre soit écrit, imprimé, que je me le procure. Il a fallu que j'apprenne à lire. J'arrive à ce livre avec mon éducation, ma culture, mes goûts, mes opinions, mes expériences. Plus immédiatement, mon état d'esprit, mon humeur quand je prends ce livre, le cadre où je me trouve marquent ma lecture. Tous ces éléments constituent une situation ou un destin.

Ensuite, ces éléments constituent le cadre ou la condition de mon acte de lecture, mais ils ne me contraignent pas, ils ne m'obligent nullement à lire. Avec les mêmes données, je peux prendre une tout autre décision: offrir ce livre à un ami, par exemple, ou le ranger dans ma bibliothèque. À côté de l'héritage du passé, joue donc un second type de facteurs, à savoir la décision du présent. Le présent n'est pas le produit nécessaire, le résultat déterminé du passé. Il demeure toujours en partie imprévisible. On ne peut pas le déduire à coup sûr de ce qui le précède. Il comporte une part de contingence, de liberté, d'inattendu. Il dispose à sa manière de ce qu'il reçoit du passé.

Enfin, dans l'acte de lecture, l'avenir joue un rôle. La décision du présent se prend en fonction d'une visée ou d'un objectif. Je peux lire pour me distraire ou pour m'instruire. Je choisirai alors soit un roman soit un traité philosophique. Je peux lire par curiosité et parcourir alors rapidement l'ouvrage, ou pour préparer un cours et je prendrai alors des notes et établirai des fiches. Le projet qui anime, aimante le présent ne lui est pas extérieur. Il ne se situe pas seulement devant lui et hors de lui; il constitue une partie intégrante de ce qu'il est. Tout être est un "être vers...", "un être pour...". Autrement dit, par "avenir", il faut entendre non seulement ce qui n'est pas encore, mais aussi et surtout ce qui fait être ce qui est, ce qui donne à chaque entité son orientation, et donc son sens et sa réalité. Le présent prend toujours forme en fonction d'un avenir, l'avenir s'inscrit dans le présent.

4. Quatrièmement, le structure que je viens de décrire, en la schématisant et en la simplifiant beaucoup, ne caractérise pas seulement l'être humain, ou des êtres conscients. On la trouve dans toute réalité, de la plus simple à la plus complexe, de la plus élémentaire à la plus sophistiquée. Il vaut pour la matière inanimée comme pour les êtres animés. Dans l'inanimé, la part de décision et de projet est infime, imperceptible pour nous ; le passé domine massivement, ce qui fait que la répétition l'emporte infiniment sur l'innovation. Il en va autrement chez l'animé, mais cependant, malgré cette importante différence, entre l'inanimé et l'animé, comme l'a établi la science contemporaine, il n'y a pas hétérogénéité, coupure ou saut, mais continuité.

2. L'action de Dieu.

Dans le schéma que nous venons de voir, où se situe l'action de Dieu? À quel moment intervient-il?

En tout cas pas dans l'héritage, dans ce qui précède et conditionne le présent. Le passé, une fois constitué ou arrivé, s'impose à Dieu comme à nous. Dieu n'a pas le pouvoir de faire que la guerre 39-45 n'ait pas eu lieu. Abraham, Isaac, Jacob, Jésus appartiennent désormais de manière indélébile et définitive à l'histoire donc à la personnalité de Dieu comme à la nôtre. Les données constituent une situation ou un destin impossible à abolir ou à annuler.

Dieu n'agit pas non plus dans la décision du présent, car elle représente la part inaliénable de liberté qui appartient à chaque moment de l'existence. Elle correspond à une capacité d'autodétermination plus ou moins grande selon les cas, mais qu'on ne perd jamais complètement. Beaucoup de choses et de gens influencent mes décisions, pèsent sur elles, mais ils ne les prennent jamais à ma place. Je finis toujours par me prononcer personnellement, même si je choisis de me laisser faire. Fondamentalement, mes options dépendent de moi.

Pour les penseurs du Process, Dieu intervient au niveau du projet et de l'avenir. Il agit d'abord en ouvrant à chaque instant que nous vivons un éventail de possibilités entre lesquelles se prendra la décision du présent. Il agit surtout en nous poussant et en nous invitant à choisir une de ces possibilités. Pour cela Dieu utilise la force de l'avenir, c'est à dire l'attrait, la séduction, la persuasion, et non la contrainte qui est la force du passé. Cela ne situe pas Dieu en dehors du présent car le présent n'existe, ne prend forme qu'en fonction d'un avenir. Sans avenir, il n'y a plus de présent ni de passé; les réciproques étant aussi vraies. Les trois catégories de facteurs que distingue l'analyse s'imbriquent étroitement ; ils n'existent et ne fonctionnent que dans une constante interdépendance.

3. La confirmation biblique.

Les théologiens du Process soulignent que cette manière de comprendre la réalité et l'action de Dieu, élaborée par des philosophes selon une démarche rationnelle, rend très bien compte de thèmes essentiels de la Bible: ainsi, de son insistance sur l'histoire (la réalité comme marche en avant), sur l'alliance (Dieu et l'être humain en relation), sur l'eschatologie (Dieu agit en faisant toutes choses nouvelles, en nous appelant à une nouveauté de vie), sur la Parole (Dieu agit en parlant, c'est à dire en persuadant), sur la conversion (autrement dit sur la décision du présent), etc.

J'illustre cette correspondance en prenant l'exemple de la création. La théologie traditionnelle voit dans Genèse 1 l'affirmation d'une création ex nihilo par un être tout puissant et tout faisant. Or, ce n'est nullement ce que dit ce texte. Au départ, il n'y a pas le néant, mais une matière primordiale le tohuwabohou, que nos versions traduisent tendancieusement par informe et vide, alors qu'il s'agit d'un chaos, d'un fatras. Le verset 2 signale également les ténèbres, un océan primitif (que nos versions, toujours tendancieusement, traduisent par abîme). Ces éléments, chaos, ténèbres, masse océanique constituent l'apport du passé, les données, la situation ou le destin que le créateur va prendre en compte. À ce magma initial, Dieu parle. Il lui adresse vocation, lui assigne un objectif : devenir jour et nuit, terre et eau, végétal et animal, passer de l'état de chaos à celui de cosmos. Par sa parole, Dieu ouvre au chaos des possibilités nouvelles inimaginées jusque là. Il propose le projet, la visée d'un avenir qui fait bouger les choses. Enfin, le chaos interpellé répond positivement à l'appel de Dieu et s'organise selon la proposition qu'il lui fait (c’est la décision du présent). Lisons bien le texte. Il n'est pas écrit: "Dieu fit la lumière", mais: "Dieu dit que la lumière soit et la lumière fut". Autrement dit, Dieu prend l'initiative en parlant. Sans sa parole, rien n'arriverait. Le chaos l'entend, fait ce que Dieu lui demande, se constitue en jour et nuit, en continent et en mer, etc. A propos de versets 11 et 12, "Dieu dit: "que la terre se couvre de verdure, d'herbe porteuse de semence, d'arbres fruitiers ... et la terre produisit de la verdure, de l'herbe porteuse de semence et d'arbre donnant du fruit", Ford commente: "la parole une fois dite réclame une écoute, un être, humain ou non, qui soit capable de répondre ... nous devons comprendre que la végétation qui apparaît est la réponse de la terre à l'objectif désigné par Dieu". Cette interprétation inhabituelle du récit de la Genèse, est, en fait plus proche du texte que la lecture classique. De nombreux épisodes bibliques présentent le même scénario. Dans une situation donnée, Dieu appelle à un avenir différent, et sa parole suscite le consentement du présent qui, du coup, se transforme.

3. La puissance de Dieu

1. L'impossibilité de la toute puissance

Dans cette conception de la réalité, il n'y a pas de place ni de signification possibles pour la notion d’une toute-puissance qui déterminerait tout. Ce qui existe naît toujours du concours de plusieurs facteurs, jamais d'une cause unique. Chaque entité reçoit un héritage qui la marque, la conditionne; chaque entité possède une autonomie relative, limitée, mais effective, qui est sa part inaliénable de liberté. À la catégorie de "causalité efficiente", il faut substituer celle de "concrescence", d'une genèse et d'une croissance de type organique où se combinent et interfèrent de multiples éléments.

Dieu ne concentre donc pas en lui toute la puissance qui existe. Il n'en a pas le monopole, l'exclusivité. Dans tout être, il y a une puissance qui lui appartient, qui diffère de celle de Dieu et qui peut entraver celle de Dieu, la ralentir ou lui faire obstacle. L'histoire biblique le démontre abondamment en racontant les désobéissances, les résistances, les révoltes et les refus que les humains opposent à Dieu. Cette limitation de la puissance de Dieu ne résulte pas de sa décision, comme le pense Brunner. Elle s'impose à lui; elle tient à la nature des choses.

2. L'action de Dieu.

Que Dieu ne soit pas tout-puissant ne signifie pas, loin de là, qu'il soit impuissant. Il n'est pas un invalide, un impotent. Il agit dans le monde; il y obtient des résultats; il a une efficacité certaine. Son action présente, selon les théologiens du Process, quatre caractéristiques.

1. Premièrement, elle s'exerce dans le cadre et en fonction d'une situation. Elle tient compte des données qu'elle ne peut ni négliger, ni annuler. Dieu agit donc lentement, progressivement. Il ne peut pas faire surgir un Mozart ou un Einstein dans une tribu de pithécanthropes. Les conditions qui permettent la venue de tels hommes se mettent en place petit à petit. De même, la venue du messie demande une préparation longue et difficile. Dieu ne l'envoie pas tout de suite, ni n'importe quand, mais seulement lorsque "les temps sont accomplis", comme le dit le Nouveau Testament. Dieu procède donc par étapes, utilisant les occasions qui se présentent pour susciter un peu de nouveau, ce nouveau permettant de faire ensuite un pas de plus. L'action de Dieu se caractérise par la patience, la persévérance, la longue durée.

2. Deuxièmement, l'action divine passe par les décisions des divers êtres. Chaque créature, animée ou inanimée, a une part de liberté. Il lui appartient de répondre positivement, négativement ou partiellement à l'invitation et à l'appel de Dieu. Cet appel s'adresse à toutes les créatures. Il prend la forme d'un avenir qui nous attire. Chaque fois que quelqu'un travaille pour qu'il y ait un peu plus de justice, de bonheur, de tendresse, un peu moins de souffrance et de misère sur cette terre, c'est qu'il a entendu l'appel de Dieu et qu'il lui a répondu positivement, même s'il ignore que c'est à Dieu qu'il a répondu. Il ne faut pas croire que Dieu est présent et agit seulement dans la vie des croyants, que les fidèles en ont le monopole.

En disant cela, n'évacue-t-on pas la foi, ne rend-on pas inutiles la prière, la lecture de la Bible, le culte? Les théologiens du Process répondent que la foi et la piété augmentent l'influence de Dieu sur nous. Je me sers d'une comparaison pour le faire comprendre. Tous les êtres humains reçoivent la chaleur et la lumière du soleil. Tous en profitent. Mais certains en bénéficient beaucoup plus, parce qu'ils s'exposent plus particulièrement et plus systématiquement à ses rayons pour bronzer; ils prennent des bains de soleil. Le croyant est quelqu'un qui se fait bronzer spirituellement. La prière, le culte, la lecture de la Bible représente, comme les bains de soleil, des moments privilégiés où l'on s'expose à Dieu, où l'on se place sous son rayonnement, où l'on se rend réceptif à sa parole persuasive pour qu'elle oriente notre vie et notre action.

3. Troisièmement, l'action de Dieu dans l’histoire ne se traduit pas par un progrès continu, selon un plan préétabli qui se déroulerait de la manière prévue. L'histoire n'est pas écrite d'avance. Des imprévus se produisent, auxquels Dieu s'adapte. Il connaît des échecs, c'est-à-dire des situations où son projet régresse au lieu d'avancer, où sa parole retentit dans le désert, parce que personne ne l'écoute ou qu'on la refuse. Alors, le chaos reconquiert des régions où le cosmos avait commencé à s'installer. Mais Dieu n'accepte pas ces échecs, ne renonce pas. L'après-déluge, l'histoire d'Abraham, l'exode, le retour d'exil, la naissance de Jésus, Pâques sont autant de redépart, de nouvelles créations, de résurrection après des échecs.

4. Quatrièmement, l'action de Dieu a un but. Elle ne cherche pas à maintenir le statu quo, à préserver des équilibres, à sauvegarder l'état actuel des choses. Elle vise toujours à faire progresser sur le chemin qui conduit à une nouvelle terre et de nouveaux cieux, à ce que la Bible appelle le Royaume, c'est-à-dire un univers harmonieux, sans tohuwabohou, où régnera la paix et la justice. Autrement dit, jamais Dieu ne se satisfait de ce qui est. Il veut autre chose et nous pousse donc à avancer, à innover. Il ne nous propose pas un modèle pris dans le passé, le jardin d'Eden, mais la vision d'un avenir, la nouvelle Jérusalem. Pour la Bible, le monde n'est pas un édifice, un immeuble, mais un voyage. Le Christ se présente comme le chemin, et l'apôtre Paul voit dans la vie chrétienne non une installation, mais une course. Dieu n’a pas pour fonction de maintenir le monde en place, d'en assurer la continuité et la stabilité. Il a une rôle moteur; il déplace les choses, il nous remue, il travaille et pousse à transformer la réalité.

3. Quelle puissance?

On a reproché aux théologiens du Process d'accorder à Dieu une puissance médiocre et faible, et donc de donner une image assez piètre de la divinité. À cette critique, ils opposent une double réponse.

1. D'abord, ils soulignent que pour eux Dieu dispose d'une puissance infinie non pas au sens où elle pourrait tout, mais parce qu'elle n'a pas de fin. Elle ne s'arrête jamais; elle ne se laisse pas neutraliser ni détruire. Rien ne peut empêcher Dieu de poursuivre son œuvre. Jamais, il ne se décourage ni ne prend son parti de ce qui va mal. Toujours, il continue. Ses échecs ont donc un caractère provisoire et nullement définitifs; contrairement à ce que disent les théologiens de la mort de Dieu, il ne peut pas mourir. Si Dieu échoue avec Adam, il recommence avec Noé. S'il échoue avec Israël, il recommence avec l'Église. S'il échoue avec l'humanité et avec notre terre, ce que l'on ne peut pas exclure, il recommencera ailleurs dans l'Univers. Dans cette perspective, si l'éventualité d'un échec est mentionnée, elle paraît quand même bien peu probable.

2. Ensuite, les théologiens du Process retournent l'accusation. La thèse classique de la toute puisssance attribue, disent-ils, un pouvoir infini en quantité, mais de basse qualité. Elle témoigne d'une réflexion rudimentaire qui ne voit pas que la puissance et la fragilité vont toujours de pair, qu'il existe entre elles un lien étroit, qu'elles se développent et grandissent ensemble, que l'une implique l'autre. Deux exemples nous aideront à la comprendre.

- Prenons un marin qui navigue à voile. Il rencontre toutes sortes d'obstacles, de difficultés et de périls: des courants, des vents contraires, ou le calme plat. Il lui faut jouer avec tout cela, l'utiliser au mieux, louvoyer, calculer pour atteindre son but. Il fait preuve d'infiniment plus de finesse, de qualité et de savoir, de maîtrise de soi et de son matériel que le vacancier qui fait le même trajet avec un bateau à moteur. Celui qui matériellement a le plus de moyens, a en fait une capacité bien moindre.

- Dans un de ses romans, Anatole France parle d'un général en retraite qui s'est fait une armée avec de petits cartons qu'il s'amuse à faire manœuvrer. Il exerce un pouvoir quasi absolu sur ces petits cartons. Ils ne prennent aucune initiative intempestive, n'opposent aucune résistance; ils se trouvent là où le général les a mis, ne bougent que lorsqu'il les déplace. Avec une véritable armée, les choses sont beaucoup plus malaisées. Sur des êtres vivants, même disciplinés, on a un pouvoir moindre ; du coup les commander, les faire fonctionner correctement demande des qualités supérieures, une puissance plus grande que de jouer avec des petits cartons. Et encore, un officier a des pouvoirs et des moyens pour se faire obéir; il dispose d'un arsenal de sanctions assez fortes pour contraindre ses hommes. Un pasteur ne peut contraindre aucun de ses paroissiens. Il doit les convaincre. Pour qu’ils fassent quelque chose, il lui faut autrement de qualités personnelles que celles nécessaires à un officier. Conduire une paroisse demande une puissance beaucoup plus grande que de conduire un régiment, précisément parce qu'on dispose de moins de pouvoirs. Quand on a besoin de beaucoup de pouvoirs, cela veut dire qu'on a une grande insuffisance à compenser. Seul un gouvernement en mauvaise posture demande des pleins pouvoirs. Whitehead reprochait aux théologiens d'avoir imaginé la souveraineté de Dieu à l'image de celle des Césars et des despotes orientaux. En lui attribuant tous les pouvoirs, ils ont méconnu sa puissance. En croyant lui rendre gloire, ils l'ont rabaissé. Ils n'ont pas vu que la vulnérabilité et la fragilité d'une puissance font sa grandeur.

Autrement dit, la puissance ne s'évalue pas en quantité, mais en qualité. Des pouvoirs immenses impliquent une puissance très mince, et la puissance divine est d'autant plus forte et magnifique qu'elle n'utilise pas, la coercition.

4. Le mal et la providence

1. D'où viennent le malheur et la souffrance?

1. À un premier niveau, il faut dire que la responsabilité du mal n'incombe nullement à Dieu. Le mal naît à la fois des contraintes que le passé impose à Dieu et des résistances que lui oppose le présent.

- D'abord, il tient aux contraintes du passé. À partir d'un ensemble de données, on dispose d'un éventail restreint, réduit de possibilités. Il existe des situations où le meilleur n'est pas un bien, mais un moindre mal.

- Ensuite, le mal surgit à cause des résistances des divers êtres. Les décisions du présent ne se conforment en général pas entièrement à l'appel de Dieu. Je dis "en général", parce que pour les théologiens du Process, il y a une exception, une seule, celle de Jésus qui se conforme totalement à ce que Dieu veut de lui ("il n'y a pas de péché en lui"). Mais, en dehors de Jésus, il existe dans le meilleur des cas un petit écart, dans le pire une opposition radicale entre la proposition de Dieu et le choix de l'entité.

Les contraintes du passé et les résistances du présent ne se localisent pas seulement chez l'être humain. Elles existent chez toutes les réalités existantes, celles que nous jugeons inanimées, comme les animées. Le schéma de constitution de l'entité actuelle s'applique aussi bien aux particules élémentaires qu'à ces êtres sophistiqués (ou qui se croient tels) que sont les êtres humains. Dans notre anthropocentrisme orgueilleux et borné, nous pensons trop le monde non humain comme un ensemble inerte et neutre, ce qui a d'ailleurs des conséquences écologiques désastreuses.

À un premier niveau, on affirme donc que le mal ne vient donc pas de Dieu, mais de facteurs indépendants de lui, et qu'il contredit toujours sa volonté.

2. À un second niveau, on doit cependant admettre que Dieu porte une certaine responsabilité dans le développement du mal. Sa responsabilité ne constitue nullement une culpabilité et ne va pas contre l'amour. Mais il n'échappe cependant pas à une ambiguïté fondamentale. Il veut nous faire passer du chaos au cosmos, il veut mettre en place un monde riche et harmonieux, il veut aboutir à des existences qui connaissent un bonheur d'une grande intensité et d'une haute qualité. Or, la capacité au bonheur et celle au malheur vont de pair. Une plante souffre peu, mais se réjouit peu. L'homme atteint une joie bien supérieure, mais du coup il connaît des peines bien plus grandes. La modernité a vu un développement spectaculaire des techniques humaines et un accroissement considérable de leurs pouvoirs. Il en résulte que notre temps dépasse tout autant en bien qu'en mal, en merveille qu'en horreur les époques qui l'ont précédé; il est à la fois meilleur et pire. Il y a là une ambivalence inévitable. Le positif et le négatif augmentent en même temps. En faisant progresser les possibilités de bien, Dieu accroît du même coup les risques de mal. Ce risque, il l'a pris, et en un sens, il porte donc bien une responsabilité.

Le jeu en valait-il la chandelle? N'aurait pas été mieux que Dieu n'intervienne pas, qu'il laisse tranquille le chaos plutôt que de le mettre en route vers le cosmos? Un univers minéral sans grand bonheur, mais également exempt de souffrances excessives ne serait-il pas préférable à un monde ravagé par les tueries, les famines, les pestes de toutes sortes? Il m'arrive parfois, dans mes moments de découragements, de me poser la question. Les théologiens du Process n'ont, pour leur part, aucune hésitation. À leurs yeux, l'aventure méritait d'être tentée et courue. Dieu a bien fait d'agir ainsi, même avec les dangers et les contreparties terribles que cela comportait. Dans une des premières lettres que j'ai écrites à Cobb, je lui ai dit que je trouvais qu'il faisait preuve sur ce point d'un optimisme bien américain. Il m'a répondu deux choses. D'abord, que les européens, en tout cas ceux de ma génération, à cause de leur épouvantable histoire récente développaient un pessimisme excessif qui souvent les paralyse. Ensuite que ce n'est pas l'Amérique, mais l'évangile qui lui fait considérer le monde comme positif, que la foi chrétienne implique un optimisme lucide, mais foncier qui découle de la confiance en Dieu.

2. Un Dieu vulnérable

Selon la théologie classique, l'impassibilité et l'invulnérabilité caractérisent Dieu. Ce qui se passe dans le monde ne le touche pas ni ne l'affecte. Rien ne peut entamer sa sérénité ni diminuer sa béatitude. La théologie du Process souligne que la Bible, au contraire, nous parle d'un Dieu sensible, que les événements du monde atteignent et marquent. Nos joies le réjouissent, et il s'afflige de nos malheurs.

La croix témoigne de cette vulnérabilité de Dieu. Elle montre que le monde a le pouvoir de torturer Dieu. Elle rend évident qu'il souffre comme nous, avec nous, de notre fait. Ce thème a des conséquences pastorales importantes. La théologie classique présente un Dieu souverain, qui domine nos existences, qui nous envoie malheurs et bonheurs à son gré, selon des décisions dont les motifs nous échappent. Alors, ou bien nous nous révoltons, ou bien nous nous soumettons, mais nous n'entrons pas dans une relation de dialogue, d'échange de communion avec Dieu. Nous avons avec lui un lien de vassal à suzerain, pas de fils à père. Au contraire, quand on insiste sur la vulnérabilité et la souffrance de Dieu, il nous devient très proche. Il vit profondément ce qui nous arrive. Il n'est pas le Tout Autre, mais l'Emmanuel, le Dieu avec nous, non pas l'absolu (seul, isolé, à part), mais le relatif, c'est à dire celui qui est relié et qui vit en relation. Il partage nos sentiments; il participe à nos souffrances et à nos joies, nous participons aux siennes. Il ne siège pas au Ciel, très haut et très loin, il chemine à nos côtés, comme les pèlerins d'Emmaüs l'ont découvert. Il est le compagnon des jours faciles ou rudes de notre existence. À celui qui se trouve aux prises avec la souffrance, il faut d'abord dire: "Dieu est avec toi, non pas au dessus ou en face de toi, mais près de toi. Il ne t'envoie pas la souffrance, il la partage, il la porte, il la subit, comme toi; elle est aussi la sienne et il se révolte avec toi". Dieu très humain, c'est vrai. Il y a une humanité, une relation essentielle avec les humains, une condition humaine du Dieu de l'évangile, ce qu'essaie de dire plus ou moins adroitement la doctrine de l'incarnation, la doctrine du Dieu qui se fait frère.

3. Le Dieu qui ressuscite.

Le message chrétien ne se borne pas, quelle que soit l'importance de ce point, à affirmer que Dieu souffre avec nous. Il proclame également et surtout qu'il agit pour nous délivrer. L'évangile ne culmine pas avec la croix, mais avec la résurrection, c'est à dire avec une nouvelle création, un nouveau départ et un recommencement après l'échec, y compris celui que représente la mort. La Providence signifie à la fois que Dieu souffre avec nous et qu'il nous sauve. L'action salvatrice de Dieu a deux aspects.

1. D'abord, en chaque situation, même la plus bloquée, la plus terrible, Dieu intervient pour nous ouvrir des possibilités qui nous permettent de nous en sortir et d'avancer. Il nous appartient de les saisir. Avec Pâques, nous voyons que Dieu a su d'un échec apparemment total et irréversible, celui de Golgotha, faire surgir une vie et une histoire nouvelles. La manière dont Pâques retourne la situation du vendredi saint fonde notre confiance en Dieu. Qu’il ait pu faire cela nous autorise à penser qu'il saura affronter n'importe quelle situation, qu'il n'existe pas pour lui de situations désespérées et sans issue. De même que Jésus est celui qui a su le mieux faire entendre l'appel de Dieu, à tel point qu'on peut dire qu'il est sa parole, de même sa résurrection représente l'action la plus marquante de Dieu dans notre histoire; c'est pourquoi, on l'appelle le Christ. Nous sommes actuellement au bénéfice de cette parole et de cette action là de Dieu. Nous vivons de son dynamisme. Elle fonde notre confiance, notre espérance et notre action.

2. En second lieu, l’action salvatrice de Dieu implique la vie éternelle. Pour les théologiens du Process, Dieu recueille et inscrit dans son être tout ce qui existe et arrive. Chaque minute, chaque seconde entre dans son éternité, ou dans sa temporalité sans fin, et, là, passent par une transformation. Dieu insère les négativités dans un ensemble plus vaste où elles prennent une valeur positive. Pour expliquer cela, Ford se sert d'une comparaison musicale. Il existe des sons qui ne vont pas ensemble. Leur association produit une laideur insupportable. Néanmoins, le génie de certains compositeurs les rend capables d'utiliser ces discordances, de leur donner une beauté en leur ajoutant d'autres notes et d'autres sons. On aura un accord d'autant plus riche et harmonieux que les dissonances surmontées sont fortes. Dieu agit ainsi pour le mal. Il le régénère en quelque sorte, en créant d'autres éléments qui s'associent avec lui et l'équilibrent dans une immense synthèse.

Conclusion

 

Je conclus par trois remarques qui esquissent un bilan critique, en positif et en négatif de la théologie du Process.

1. La mesure du mal.

À plusieurs reprises, j'ai noté l'optimisme des théologiens du Process. Ils me semblent ne pas prendre toute la mesure du mal. Ils ne perçoivent pas, ou pas assez, la dimension du démoniaque et ils n'éprouvent pas le sursaut d'horreur existentielle que je sens chez un Monod ou chez un Tillich. Je ne peux pas accepter que l'on considère les tirs, le froid et la famine qui tuent les habitant de Saravejo comme des éléments d'une harmonie cosmique.

Peut-on expliquer cet optimisme par la situation relativement privilégiée des universitaires américains sur leur campus? Probablement, mais on ne peut pas la leur reprocher sans injustice, car les théologiens du Process ont su critiquer le mode de vie américain, en ont vu les faiblesses et dénoncé les dérives. Ils ont pris courageusement et activement parti contre le racisme, contre la guerre du Viet-Nam, contre l'exploitation économique de l'Amérique du Sud, pour un programme social qui ferait reculer la misère d'une partie de la population, pour le féminisme, pour l'écologie, avant que cela ne devienne à la mode. Leur confort ne les conduit pas à s'aveugler et à fuir leurs responsabilités. Il n'en demeure pas moins qu'ils ont rencontré la souffrance d'abord comme une énigme intellectuelle et qu'ils y ont vu, en premier lieu un problème à résoudre, comme on le fait en mathématiques. D'où la tonalité de leur réflexion, à qui il manque une vibration existentielle, bien qu'elle soit attentive à la souffrance vécue. Étonnamment, alors qu'on trouve chez eux tous les ingrédients d'une vision tragique des choses, ils donnent le sentiment d'une pensée plutôt euphorique, un peu étrangère à la réalité des drames du monde. Mais à l'inverse, leur volonté de traiter intellectuellement la question de la providence, en laissant de côté l'émotion et le pathétique, leur permet de dégager certains éléments de réflexions qui me paraissent essentiels.

2. La notion de puissance.

Il me semble que l'un de leurs apports les plus intéressants consiste en leur réflexion sur la notion de puissance. Tillich montre que la puissance implique un adversaire dominé, une opposition vaincue, et donc que la notion de "toute-puissance", d'un monopole de la puissance, s'effondrait, devenait contradictoire et impensable. Il n'y a de puissance que là où se manifeste une résistance.

Des théologiens du Process, je retiens la distinction entre "pouvoir" et "puissance". On a cru magnifier la puissance de Dieu en lui attribuant tous les pouvoirs. Or, la plus grande puissance est celle qui s'exerce en dehors de tout pouvoir. Quand quelqu'un a besoin de beaucoup de pouvoirs, cela signifie qu'il manque de puissance. Un Jésus sans pouvoir a plus de puissance qu'un César avec tous ses pouvoirs. Un Luther sans pouvoir a plus de puissance que le Pape et l'Empereur et le banquier Fulger réunis. Le pouvoir exerce une contrainte qui rend passif, qui réduit à l'état d'objet et de marionnettes, alors que la puissance persuade, inspire, anime, suscite la liberté et dynamise la personnalité.

3. Confiance et responsabilité.

La théologie du Process établit un équilibre qui me semble heureux entre la confiance et la responsabilité.

D'un côté, une confiance totale démobilise. Si un Dieu tout-puissant conduit l'histoire et dirige le monde, notre action devient indifférente. La passivité et la démission menacent alors les croyants comme on le voit dans les courants quiétistes.

De l'autre côté une responsabilité totale devient vite écrasante et vertigineuse. Si tout dépend de nous, l'ampleur des tâches à accomplir et la faiblesse de nos moyens a de quoi nous décourager. Si la réussite dépend du consentement de l'être humain, alors c'est désespérant parce qu'on ne peut pas avoir confiance en l'être humain. Certes, mais ne peut-on pas avoir confiance en la capacité de Dieu à convaincre et à changer l'être humain?

Si Dieu agit avec nous, d'une part nous voilà mobilisés par lui, et d'autre part, confortés, soutenus. L'action et l'espérance chrétienne ne prennent tout leur sens que si Dieu n'est ni tout-puissant ni impuissant. D’un côté, Dieu a besoin de nous et voilà qui nous pousse à nous engager. De l’autre côté, nous n'affrontons pas seuls les travaux et les combats à mener. Il y a nos compagnons de route, de lutte et de foi ; surtout, il y a Dieu qui, s’il ne peut pas tout, peut néanmoins beaucoup et dont la puissance intarissable ne cesse de nous susciter et de nous ressusciter.

André Gounelle
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André Gounelle

Professeur émérite de la faculté de théologie protestante de Montpellier

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